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captif : « Vous ! mahométan, vous venez parler pour cet infidèle, lui dit Nassr-Oullah en le renvoyant. » Tout étant inutile, on essaya de faire agir de concert les khans de Hérat et de Khiva, le sultan de Kaboul et les envoyés de Saint-Pétersbourg. Cet accord, cette persistance, persuadaient à Nassr-Oullah que l’on attachait un haut prix à la vie de Stoddart, et qu’il obtiendrait une rançon considérable ; il espérait même exploiter la circonstance pour agrandir son royaume. Profitant des ouvertures qui lui étaient faites, il demanda à la reine d’Angleterre l’adjonction à ses domaines de certaines régions limitrophes et ne reçut qu’une réponse dilatoire. Nassr-Oullah spéculait sur ses captifs.

Quant à Stoddart, avec cette confiance héroïque et aveugle que nous connaissons, il rendait sa libération presque impossible. En vain lui écrivait-on qu’il était libre de partir, en vain les autorités de Calcutta lui conseillaient-elles de saisir la première occasion qui pouvait se présenter et de fuir ; retenu par un sentiment du devoir presque fanatique, il prolongeait, malgré ses chefs eux-mêmes, cette situation dangereuse. Il atteignit ainsi l’époque où le pouvoir anglais ébranlé dans l’Afghanistan et le massacre du Kaboul encouragèrent le roi à en finir avec deux prisonniers qui ne lui rapportaient rien de ce qu’il avait espéré et qui l’embarrassaient.

Deux circonstances précipitèrent le dénouement. Les moullahs ou prêtres du Kaboul, après le massacre des défilés, écrivirent au khan de Bokhara que les étrangers étaient exterminés, et que s’il n’avait pas encore osé tuer ses deux captifs, il pouvait maintenant ou s’en défaire ou les leur livrer ; « cette lettre, dit Akounzadeh dans son récit, fit sur l’émir une impression profonde. » Il transféra les deux Anglais dans un cachot plus rigoureux et les fit dépouiller de leurs habits. On trouva dans une doublure des vêtemens du colonel un crayon et des papiers qui furent remis à Nassr-Oullah ; rien n’est plus suspect à ces hommes que les écritures et les dessins tracés par des Européens. On voulut savoir qui avait apporté ces papiers et ce qu’ils signifiaient, et l’on battit cruellement pendant deux ou trois jours successifs Stoddart, qui se refusa obstinément à toute révélation. Enfin le 17 juin 1841, le khan ordonna l’exécution de Stoddart en présence de Conolly, et fit offrir la vie à ce dernier, s’il voulait abjurer et devenir mahométan. Les mains liées et croisées sur la poitrine, ils furent conduits à travers une foule nombreuse dans une petite place carrée, où le bourreau abattit la tête de Stoddart. — Se tournant alors du côté de Conoliy, le bourreau lui dit : « Voulez-vous être mahométan ? l’émir vous donne la vie. — Vous ne