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grande que l’Europe, avec ses montagnards nomades, qui ne font que la guerre, se soulevait comme un seul homme. Certes, il y avait là de quoi réfléchir ; mais la presse et l’opposition anglaise ne s’endormirent pas. Ce qui s’est passé depuis 1841, à cet égard, est un symptôme curieux de l’universalité d’intérêts et de relations qui s’établit dans le monde, et de la puissance énorme de la publicité moderne.

A propos de ces deux Anglais sacrifiés par le chef d’un royaume barbare, Saint-Pétersbourg, Téhéran et Calcutta s’agitent. Une assemblée spéciale est instituée à Londres pour le seul objet de sauver les prisonniers ou de les venger. Un homme se trouve, d’un cœur chaud et d’un esprit belligérant, le capitaine Grover, qui assiège Downing-Street, harcèle les ministres, remplit les journaux de ses plaintes, invoque le secours de l’Europe entière contre un monarque voisin de la Chine et contre le cabinet britannique, accusé par lui d’abandonner ses agens. Il se rend à Saint-Pétersbourg pour obtenir du tsar ce que les autorités anglaises lui refusent ; il récuse jusqu’au dernier moment les témoignages nombreux, et selon nous incontestables, qui racontent la mort ou plutôt l’assassinat des deux captifs ; il éveille si bien la pitié publique, qu’un autre homme se présente, missionnaire protestant, qui, habitué aux courses les plus périlleuses à travers le globe, offre à son tour de partir pour l’Asie centrale et de ramener ses compatriotes. Il s’embarque « fort tranquillement, dit le capitaine Grover, après avoir embrassé sur le rivage sa femme et sa fille, la Bible à la main, et tout aussi paisible que s’il fût parti pour un voyage de quelques jours. » Cet homme est le docteur Wolff, et, dans cette triste aventure, c’est le quatrième personnage qui expose résolument sa vie pour sauver celle d’autrui.

Le docteur, après avoir couru de grands dangers, protégé par le seul titre de moullah ou prêtre dont il était investi, est revenu persuadé pour son compte que toute recherche sera désormais stérile, que le récit d’Akounzadeh est la vérité même, et que les deux officiers anglais ont péri. C’est ce que le capitaine Grover ne veut pas croire ; on peut les retrouver, dit-il, dans quelque forteresse ignorée, du côté d’Orembourg et de la mer Caspienne. Aussi son livre, dont la seconde édition vient d’être publiée, est-il une malédiction continuelle, mêlée de satire et d’invectives, contre les autorités anglaises, lord Aberdeen, lord Palmerston, sir Robert Peel et tous ceux qui n’ont pas secondé les vues du capitaine, qui ne les secondent pas aujourd’hui.

Nous avons dit pourquoi cette violente réclamation ne nous semble pas complètement justifiée par les faits. La forme d’ailleurs, celle