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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1117

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années de retraite de Gresset l’époque la plus remplie littérairement et la plus fertile de sa vie. L’honorable biographe s’est tellement appliqué et a si bien réussi à retrouver tous les canevas et projets qui ont pu passer dans l’esprit ou s’ébaucher sous la plume de l’auteur sommeillant et indécis, que nous nous perdons avec lui dans cette multitude d’essais oiseux, de dédicaces sans but et de faciles avortemens. Il ne nous a convaincu pourtant que d’une chose, c’est que Gresset, à peine retiré, baissa aussitôt comme poète. Confiné et, pour tout dire, confit dans les solennités provinciales, dans la coterie littéraire du lieu et dans les admirations bourgeoises, il put encore avoir de bons, d’aimables instans en petit comité entre le digne évêque M. de La Mothe, qui le dirigeait, et MM. de Chauvelin, gens d’esprit, dont l’un était intendant de Picardie ; mais il ne retrouva plus désormais, il ne posséda plus son talent ; il eût été incapable, à sa manière, d’un grand et vivant réveil, comme en eut Racine. En guise dEsther et dAthalie, il couva le Parrain magnifique et le Gazetin, deux pauvretés qu’il regardait comme ses chefs-d’œuvre, et qui sont à Ver-Vert ce que Campistron est à Racine lui-même.

Il est, je l’ai dit et j’y reviens comme à la clé de mon explication, il est des natures poétiques qui vieillissent vite, et Gresset était de celles-là. Il avait eu son beau moment de maturité dans le Méchant, mais ce n’avait été qu’un éclair : à partir de là, son talent devint tout aussitôt vieillot avant l’âge, de même qu’il avait été si agréablement jeunet dans Ver-Vert. Ce qui avait été badinage aimable en sa primeur ne fut plus, en se répétant, que babiole et pure fadaise.

Quand on retrouverait la totalité des manuscrits perdus, quand ce fameux portefeuille de Gresset qu’avait eu entre les mains M. Duméril, et qui s’est égaré on ne sait comment, se rouvrirait aujourd’hui tout entier ; quand on en verrait sortir cette suite du Ver-Vert dont M. de Cayrol porte encore le deuil et dont il a tenté de nous donner en vers la complète restitution, on n’aurait guère à changer d’avis ; on y serait de plus en plus confirmé, je le crains. Gresset vieillissant tournait sans cesse autour du Ver-Vert ; il en avait repris, développé, enjolivé les deux derniers chants ; une partie nouvelle qui s’appelait l’Ouvroir fut par lui récitée à la famille royale dans un voyage qu’il fit à Paris en 1774. Il eut là le plus vif succès de ses vingt-cinq dernières années. Mesdames royales, filles de Louis XV, ne se sentirent pas de joie à la peinture de cet intérieur de nonnes ; c’était la plus vive gaieté qui eût jamais pénétré au sein de cette autre vie cloîtrée et innocemment futile.