Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À part ce petit succès à huis clos, Gresset ne donna signe de vie durant ces années que pour essuyer de légers échecs qu’un manque de tact devenu trop habituel lui attirait. Chargé en 1754 de recevoir d’Alembert à l’Académie, il trouva moyen, à propos de l’évêque de Vence qu’on remplaçait, de faire une critique des prélats de cour qui ne résidaient pas ; l’occasion était mal choisie, et l’on dit que, lorsqu’il alla ensuite à Versailles pour présenter au roi son discours, Louis XV, qui le crut esprit-fort, lui tourna le dos. Quelques années après, en 1757, ce fut Gresset qui, lors de l’attentat de Damiens, voulut signaler son zèle en demandant au roi, par une épître en vers, qu’il daignât changer le nom de la ville d'Amiens en celui de Louisville. Ce sont là de ces faiblesses telles qu’il en arrive aux gens honnêtes un peu amollis par la vie domestique ; mais on se demande ce qu’est devenu l’homme d’esprit.

On se le demande encore, lorsqu’en 1759 on voit Gresset, sans nécessité, sans prétexte, s’aviser de publier une Lettre sur la Comédie, dans laquelle il déclare à tous son projet de renoncer au théâtre par scrupule de conscience, et d’après la décision qu’il en a reçue de l’évêque d’Amiens : « Je profite de cette occasion, y disait-il, pour rétracter aussi solennellement tout ce que j’ai pu écrire d’un ton peu réfléchi dans les bagatelles rimées dont on a multiplié les éditions, sans que j’aie jamais été dans la confidence d’aucune. » Ces sentimens sont respectables, même dans leur excès ; mais à quoi bon les proclamer ? et que cela donnait beau jeu à Voltaire de s’écrier dans le Pauvre Diable, qui est justement de l’année suivante :

Gresset dévot, long-temps petit badin,
Sanctifié par ses palinodies ;
Il prétendait avec componction
Qu’il avait fait jadis des comédies
Dont à la Vierge il demandait pardon.
- Gresset se trompe, il n’est pas si coupable
Un vers heureux et d’un tour agréable
Ne suffit pas ; il faut de l’action,
De l’intérêt, du comique, une fable,
Des mœurs du temps un portrait véritable,
Pour consommer cette œuvre du démon !


Chez Gresset, sans qu’il s’en rendit compte, la conscience littéraire, par une de ces ruses d’amour-propre qui sont naturelles au cœur humain, se déguisait ici en conscience morale ; elle lui disait tout haut