Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diverses : ce que nous examinons, c’est la manière dont elle est justifiée par les faits. Or, un grand nombre de canaux ayant été exécutés par les propriétaires des terres ou à leurs frais, l’état en ayant lui-même entrepris d’autres en sa qualité de représentant des intérêts du sol, tous enfin payant largement par l’amélioration des terres la dépense qu’ils ont causée, on ne voit pas pourquoi cette dépense resterait à la charge de la navigation. Cela ne veut pas dire que le gouvernement belge n’avait pas le droit d’établir des tarifs plus élevés, et qu’en le faisant il eût commis une exaction : non, le droit d’un gouvernement sur les travaux qu’il exécute n’est pas nécessairement limité par la mesure des services rendus. Il faut bien qu’il prélève l’impôt quelque part, et quant au choix des objets imposables, il ne doit consulter en cela que l’intérêt du pays. Cela veut dire seulement qu’en modérant ses exigences, ce gouvernement n’accorde pas une faveur, qu’il ne fait au contraire que laisser les choses dans leur état normal, et que, s’il établissait des tarifs plus élevés, ce ne serait plus comme paiement direct de services rendus, mais comme impôt.

Les droits de navigation sur les canaux belges sont donc en général très modérés. Est-il besoin de dire maintenant ce que devient la concurrence des chemins de fer et des voies navigables dans ces nouvelles conditions ? Tous les résultats se résument en quelques mots. Partout où les deux modes de transport se trouvent en présence, les voies navigables ont conservé, pour le transport des marchandises pesantes, qui est leur apanage, une supériorité absolue, décisive. C’est à peine si leur clientelle a été entamée par les voies rivales : elle s’est même accrue en peu de temps dans d’énormes proportions. Laissons pourtant cet exemple et les conséquences si nombreuses qu’on en pourrait tirer. Tout ce que nous voulons conclure de ce qui précède, c’est que les droits modérés sur les canaux ne constituent pas une exception favorable, mais un état normal ; c’est qu’il faut prendre à cet égard la Belgique et non l’Angleterre pour modèle, et que, dans cette situation vraiment régulière des choses, toute concurrence sérieuse est impossible entre les deux modes de transport que l’on suppose rivaux. Ils rentrent tous les deux, s’il est permis de s’exprimer ainsi, dans leur rôle ; chacun d’eux prend la place qui lui appartient ; le pays n’en est que mieux et plus complètement servi, et la part des chemins de fer reste encore assez belle pour ne laisser rien à regretter.


CH. COQUELIN.