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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1159

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rien, ni le passé, qui n’est déjà plus, ni l’avenir, qui n’est pas encore. Le peu de revenus qui arrivaient au trésor avant le ministère actuel, et qui n’étaient pas en état de suffire au quart des charges publiques, ne seront même plus recueillis. Il deviendra impossible de payer quoi que ce soit ; l’armée, si belle aujourd’hui, si bien organisée pour la première fois depuis long-temps, recommencera à se démoraliser et à se dissoudre ; sans paie, point de discipline, et sans discipline, point d’ordre public. L’Espagne retombera dans le chaos d’où elle travaille avec tant de peine à se tirer. Cet ascendant supérieur du général Narvaez, il le doit sans doute à son courage, à sa résolution, à ses succès, à ses ressources d’esprit et de volonté, nais ne le doit-il pas aussi un peu à cette administration financière tant décriée et qui lui fournit les moyens de payer et d’équiper ses troupes avec une régularité inconnue jusqu’ici ? Quand une fois ce point d’appui lui manquera, ne sera-t-il pas bien exposé à tomber lui-même ? Les factions ennemies ne s’y trompent pas, elles veulent abattre

M. Mon d’abord, parce que c’est en réalité le plus grand obstacle à leur triomphe ; elles espèrent plus tard avoir bon marché des autres, et de Narvaez tout le premier. Le moment est donc venu pour celui-ci d’y prendre bien garde ; si M. Mon a besoin de lui, il a besoin aussi de M. Mon, ou plutôt, pour sortir de ces questions de personnes qui ne sont jamais que l’expression des questions de choses, l’organisation financière d’un état a besoin d’être défendue par la force publique, et la force publique a besoin à son tour d’être entretenue par une bonne organisation financière ; tout se tient dans un gouvernement ; si une des mailles du réseau se détache, le reste ne tarde pas à suivre. Ce n’est pas M. Mon qui est nécessaire, ce n’est pas M. Narvaez, c’est ce que M. Mon et M. Narvaez représentent, c’est-à-dire l’association des deux grandes forces de l’état.

Une question d’un autre genre contribue d’ailleurs à aggraver la situation actuelle de l’Espagne, c’est celle du mariage. Jusqu’ici on s’est accordé à peu près à ajourner la question du mariage ; de jour en jour, cet ajournement devient plus difficile. La reine Isabelle a vécu jusqu’ici sous l’aile de sa mère ; on commence à trouver en Espagne que cette tutelle, qui a cessé d’être légale, mais qui n’en est pas moins réelle, se prolonge beaucoup. À tort ou à raison, dans ce pays mobile et passionné, le nom de la reine Christine n’est plus aussi en honneur qu’il y a deux ans. C’est là une erreur de l’opinion, une grande erreur, nous n’en doutons pas ; la reine Christine n’a jamais fait que du bien à l’Espagne, et dans ces derniers temps, en contribuant par son autorité à maintenir l’union des différens chefs du parti modéré, elle a rendu un immense service à sa fille et à son pays. Ceux qui l’ont vue de près savent d’ailleurs avec quel tact admirable elle sait se tenir à part quand il le faut, et laisser, en apparence du moins, aux ministres de sa fille toute leur liberté d’action. Mais la nation espagnole est capricieuse comme la nôtre ; elle commence à ne plus rendre justice à la reine Christine, elle l’accuse de griefs imaginaires, qui n’en sont pas moins acceptés comme vrais. La reine