Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus vives ; l’habitude ne les avait blasés sur rien. Tout un côté inattendu de révélations se trouve enfoui dans les notes qu’ont tracées l’Italien Baretti pendant son séjour à Londres, le Piémontais Alfieri à Paris, Beaumarchais à Madrid, Goldoni venant mêler sa bonhomie fine au dithyrambe de Diderot, Grimm arrivant de Gotha pour séduire nos dames, et Mlle Clairon finissant par jouer la grande coquette dans une petite cour d’Allemagne. Ces noms ouvrent la marche d’une façon brillante ; arrivent ensuite et Walpole, et Sterne, et John Moore, esprit sautillant et sans portée, qui passa pour un génie entre 1780 et 1789 ; miss Helena Williams, observatrice impartiale, qui vit mourir Louis XVI ; Weber, qui approcha de Marie-Antoinette, et Goethe lui-même, qui entra dans l’Argonne et marcha contre la France, en 1792, sans beaucoup de colère. Il raconte en souriant sa magnifique campagne de Mayence, et comment il essayait sous la tente des expériences d’optique dont les boulets de nos artilleurs détruisaient l’économie, et qui l’intéressaient mille fois plus que les peuples et les rois. Rien de plus sérieusement divertissant que tous ces points de vue, ouverts de mille côtés sur le tourbillon et le courant du XVIIIe siècle. De là une instruction variée, profonde, neuve, et qui se complète fort bien par la nouvelle acquisition que nous venons de faire. Trois juges si divers, qui nous apportent leur avis et nous disent ce qu’ils ont vu ou rêvé, Swinburne, lord Brougham et le docteur Schlosser, méritent bien qu’on les écoute.

Nous commencerons par le dernier : c’est le moins amusant, mais le plus méthodique, le plus vaste et le seul des trois qui prétende à un ensemble systématique et lié.

Il a tenté l’histoire complète du XVIIIe siècle, y comprise l’histoire littéraire, qui occupe les deux premiers volumes. Nous nous occuperons seulement de cette partie, dont la dernière édition, fort augmentée et très modifiée, vient de paraître en Allemagne.

Le XVIIIe siècle ! Tant d’évènemens complexes se pressent dans le livre du docteur, que le génie ordonnateur d’Aristote, la hauteur et la compréhension de Schlegel, la vive et lumineuse exposition de M. Villemain, devenaient indispensables. Suivre de l’œil tous les courans nationaux, apprécier les littératures les plus variées, les personnages les plus complexes, les rapprocher sans les confondre, démêler les nuances, saisir les analogies, remonter aux sources, ne jamais se tromper sur les causes, analyser les effets et les influences, non-seulement dans la vie d’un peuple, mais de peuple à peuple et de région à région ; enfin, planer sur le tout et bien voir le double mouvement des idées