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anéantir cette unité si importante du but et de l’ensemble ? Le mode de M. Villemain et celui de Schlegel valaient bien mieux. Sur les points qu’ils traitaient dans la suite de leur œuvre, ils concentraient les clartés de leur synthèse et les forces de leur analyse.

Cet ordre désiré par le professeur, on ne devait pas le chercher à la surface. Il fallait voir comment Diderot se rattachait à Toland et à Richardson, Voltaire à Locke, par de certains courans d’influences qu’il importait de signaler et de suivre. Pour accomplir cette peinture, on ne devait rien laisser de côté, ni l’Italie avec Alfieri, Gozzi, Goldoni, ni l’Espagne avec ses Campomanès et ses Feyjoo. Ces groupes, qu’il était difficile, mais nécessaire de fixer d’une manière rigoureuse, pouvaient seuls éclairer le mouvement du siècle ; une fois établis, on voyait se former les divisions réelles. Dans le groupe des imitateurs des anciens, Alfieri se dessinait à côté de l’abbé Barthélemy, du Léonidas de Glover, et des essais dramatiques de Gottsched. Un autre bataillon appelait à lui le fantasque Gozzi, qui se rapportait naturellement à la comédie populaire dell’arte, aux Arlequins et aux Brighella, et à ce goût, renaissant alors, pour les légendes anciennes. Goldoni, le reproducteur sans verve, mais non sans vérité, des mœurs bourgeoises, s’installait entre Iffland et Diderot, entre Cumberland et Lessing, tous caressant la même tendance populaire ; — chaque nom retrouvait sa signification, chaque œuvre sa place lumineuse.

Par ses subdivisions chronologiques, le docteur a détruit tout cela. L’Italie et l’Espagne ont été effacées de la carte. On n’a plus aperçu les rapports et les influences ; on a perdu de vue ce brillant éveil de l’Allemagne intellectuelle et poétique, stimulée par l’étude anglaise d’Addison et de Milton, en 1750, et l’action réciproque exercée en 1789 sur les Anglais par l’apparition subite de Goethe, de Schiller et de Burger, qui produisirent à leur tour Lewis, Walter Scott et Byron. Ce sont là les grandes crises de la vie littéraire des peuples et comme les mariages intellectuels des races. En outre, certains faits, les mieux connus du docteur et les mieux étudiés par lui, ont débordé de leur cadre, pendant que d’autres parties se trouvaient amoindries ou annulées ; la juste proportion a disparu, la valeur relative des œuvres s’est présentée sous un faux jour. A côté de l’histoire intellectuelle de l’Allemagne, portion excellemment traitée, voici la France incomplète et l’Angleterre mutilée : c’est que les matériaux germaniques encombraient le cabinet du professeur, moins riche en élémens français, et privé de renseignemens vrais sur la Grande-Bretagne.

Où a-t-il pu voir, par exemple, que les frères Walpole ont « tenu en