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main (comme il le dit) les affaires de ce pays, entre 1750 et 1760 ?[1] » Et de quel droit le savant professeur les nomme-t-il « des écrivains moisis et affectés, faux et présomptueux ? » Les erreurs sont ici aussi nombreuses que les mots. Robert Walpole avait un frère ambassadeur à Madrid, qui ne dirigeait rien, vivait somptueusement et méprisait fort les lettres, comme faisait son frère[2]. Horace Walpole, fils de Robert, seul de la famille, a fait de la littérature en amateur. Il n’est pas exact de dire que les mœurs de l’aristocratie anglaise soient depuis un siècle celles des marquis débraillés de notre régence : c’est exactement le contraire qu’il faudrait dire, et la pruderie calviniste, qui s’est assise sur le trône avec Guillaume III, a totalement métamorphosé, quant aux formes et aux apparences du moins, le dévergondage brillant des cavaliers de Charles II. M. Schlosser, homme d’étude et d’érudition, n’a point pénétré dans la vie politique et active de l’Angleterre, cette vie puissante ou plutôt cette lutte qui a dominé toutes les productions intellectuelles du pays. Son point de vue, celui du métaphysicien et du savant, le trompe sans cesse ; il dit que la sentimentalité des romans de Richardson et de quelques autres éveilla dans les masses la compassion pour les classes pauvres, et contribua à faire naître la science de l’économie politique. Quoi ! Addison en 1720 réclamait des asiles de travail pour les indigens ; De Foë, en 1700, traçait le plan d’une caisse d’épargne ; Boisguilbert et Vauban osaient, sous Louis XIV, dresser le tableau statistique des misères de la France ; Howard, un peu plus tard, visitait les prisons du monde entier, et c’est à l’auteur de la triste Paméla que vous faites remonter les origines de la philanthropie moderne ! L’esprit systématique entraîne dans de tels malheurs ; on veut ranger des faits mal compris dans des subdivisions tracées à priori, on se trouve à la tête d’un bel ensemble qui est une armée d’erreurs.

Ainsi, pour prouver l’immoralité du temps, « Fabre d’Églantine, Sillery et Laclose » sont donnés comme auteurs de romans immoraux. Mlle de Genlis, cette prude moraliste, est transformée en Sillery, et devient homme ; Choderlos de Laclos est Laclose, et Fabre, l’auteur du Philinte de Molière, se change en romancier. Goldsmith est jugé en deux mots : c’est un écrivain par métier ; Price et Payne occupent chacun une page. Ces derniers ne méritent pas plus de mention littéraire que Lavicomterie ou Cubières-Palmézeaux. Quant à Goldsmith,

  1. Tome I, page 115.
  2. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1845, les deux Walpole.