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Puts fairly ail his actors to bed[1].

Nous ne voudrions pas jurer non plus que Mme du Châtelet fût la vertu pure et immaculée que le panégyrique veut bien mettre en scène, ni que les convenances fussent aussi sévèrement respectées de nos bons aïeux que lord Brougham l’imagine. La grace, si l’on veut ; pour les convenances, c’est autre chose. La régence n’avait point pris ce train, et si le noble lord veut bien jeter les yeux sur le Neveu de Rameau, cette admirable peinture du XVIIIe siècle en déshabillé, sur les mascarades de Collé, sur les pièces où les dames de la cour, jouaient des rôles, et même sur les Mémoires de Mme de Genlis, où se trouvent de si drôles de mots, il ne confondra pas la grace du XVIIIe siècle avec la décence. Dans un certain état de mœurs, tout se fait avec une délicatesse et un bon goût qui ravissent ; M. l’abbé de Voisenon vous dira le reste.

Rendons justice à lord Brougham ; échappant à toutes les appréciations passionnées il a su placer à son point de vue et sous sa vraie lumière l'Essai sur les Mœurs de Voltaire, « le premier ouvrage, comme le dit très bien un homme d’un rare esprit, où la philosophie de l’histoire ait été substituée au récit chronologique des faits. » Il cent de même la valeur extrême de Candide, et ne saisit pas moins bien cette déification des passions humaines que Rousseau a opérée, et qui devait émaner de ses doctrines. En faveur de ces grandes masses comprises par lord Brougham avec une vigueur qui atteste la supériorité de son esprit, on oublie de nombreuses erreurs de détail, la purification de Mme du Châtelet, par exemple, et cette assertion fausse que l’Écossaise n’a jamais été représentée. Fréron, singulier caractère, qui avait du jugement sans style, du goût sans agrément et du courage sans éclat, se trouvait au parterre avec sa femme, soutenant l’orage, comme Socrate, parfaitement tranquille, dit un contemporain, et riant aux facéties de Wasp.

Quant au style français de lord Brougham, il n’a pas la fine grace d’Hamilton, mais il ne manque ni de lucidité, ni d’énergie ; on est surpris que cette plume étrangère puisse s’assouplir à nos tournures et se rendre maîtresse de nos idiotismes. L’étranger et le Saxon apparaissent surtout dans le fond même des choses et dans l’enchaînement

  1. « Montre tout bonnement ses héros en chemise. » Voyez Way o f the World, et surtout le Double-dealer.