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exotique des pensées, on dans les scrupules de l’auteur. Accoutumé à un ordre social où le respect pour le dogme s’allie à la conservation de la société, lord Brougham se préoccupe beaucoup d’hérésie. Dès le début, il avoue la peur qu’il a de voir son héros accusé de blasphemy ; depuis long temps la France a passé là-dessus. Le mot anglais spirit n’a pas pour corrélatif exact le mot esprit, comme l’écrit lord Brougham à la fin de sa notice sur Voltaire. Le spirit est la qualité même qui n’a jamais fait défaut au noble lord ; c’est cette verve de tempérament qui, se communiquant à la parole comme à la pensée, est indispensable à l’orateur populaire ; don spécial qui pourrait suppléer à la justesse et à la grace, à l’étendue et à la profondeur, mais qui ne les exclut pas.

Ces volumes de lord Brougham, surtout la partie anglaise et scientifique, ne sont après tout que de curieux mémoires pour servir à l’histoire du XVIIIe siècle. » Parlons maintenant du voyageur Swinburne dont les notes inédites offrent un genre d’intérêt analogue, mais plus ingénu et moins doctrinal.

Quelques jours avant la mort de Louis XV, arrivait à Paris un jeune Anglais de bonne race, accompagné de sa jeune femme, tous deux jouissant d’une médiocre fortune, et qui venaient de contracter un mariage d’amour. Un bon ton exquis, un goût parfait, un vif penchant pour les arts, la simplicité élégante des manières, distinguaient le jeune couple, sans le faire ressortir avec bruit aux yeux de ce beau monde parisien, fou d’originalités et de nouveautés. On donna peu d’attention à Swinburne et à sa femme ; tous les yeux étaient tournés depuis trente ans vers Wilkes, vers Atterbury, vers la duchesse de Kingston, et tous ces extravagans que l’Angleterre nous envoyait par nuées. Swinburne, cependant, trouva en France mieux que de l’admiration : des amitiés tendres et vives, dans la magistrature et la noblesse, et parmi les meilleurs. Chez les Boufflers, les Mirepoix et les Noailles, chez les Dupaty et les Trudaine, on l’accueillit avec une sympathie vive qui devint quelquefois un attachement durable. Quand la révolution eut dispersé ces familles de robe ou d’épée, Swinburne, qui avait voyagé avec sa femme à travers toutes les cours d’Europe, revint en France, chargé de négocier le cartel d’échange des prisonniers français et anglais ; on n’avait pas trouvé de conciliateur plus utile que ce charmant caractère et ce doux esprit.

Le plus aimable homme du monde, sans pouvoir jamais être homme politique, Swinburne avait le goût des arts, des voyages et de la vie