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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/147

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tomber une mousseline tellement fine que cela ne compte pour rien ; on divorce, quand on veut, pour épouser la femme de son voisin, ou de son oncle, ou de son neveu, et il s’opère ici un croisement de races universel. Les plus prudes et les plus dévotes donnent d’excellentes raisons de leur laisser-aller. « Ah ! maman, disait l’autre jour Mlle de T. à sa mère, peut-on songer à faire son salut maintenant ? La vraie génération révolutionnaire est usée, celle qui est née avant la révolution est profondément blasée et fatiguée ; celle qui naît maintenant constituera peut-être une société supportable. » Swinburne écrivant sans théorie, sous le coup du moment, sous l’éclair des évènemens qui passent, et ne se permettant juste de réflexions que celles qui s’imposent à lui par la force des choses, a plus d’autorité qu’un rêveur. « Les chefs du gouvernement, dit-il en 1796, sont abhorrés, et cependant tout reste en place. L’imbécillité des princes à travers l’Europe ne permet pas de croire que la monarchie puisse se relever. La république a besoin de tomber entre les mains de quelque guide (charioteer) habile (il disait cela quatre ans avant le consulat de Bonaparte). Maintenant l’argent est le dieu auquel tout le monde sacrifie, et chacun l’emploie à la satisfaction de ses passions avec une fureur si insensée, qu’il est difficile de prédire quand un homme grand et vertueux pourra sortir d’un tel chaos ; mais trente-six millions d’hommes ne restent pas volontairement dans une situation incomfortable, et le seul poids d’une telle masse arrangera les choses, pourvu que les chefs sachent assurer la tranquillité matérielle pendant quelque temps. »

À ce tableau de Paris en 1796, il faut opposer la peinture ou plutôt l’esquisse des cours d’Europe en 1780 : le même esprit délicat et naïf vous la fournira. Non, certes, la révolution française n’a pas surpris le monde d’une explosion inattendue ; Swinburne vous montrera ces matériaux entassés et putrides qui fermentaient sous ses yeux dès l’année 1750. Hélas ! comme tout était affaissé, stérile et menaçant, dans les hautes régions européennes, pendant que le flot populaire s’élevait autour des trônes ! Comme tout le monde féodal s’en allait mourant, surtout au midi ! Ces pauvres vieilles races royales, de quelles puérilités elles récréaient leur décrépitude ! A Naples, à Madrid et à Turin, quel bégaiement de passions séniles et quel vain tumulte de divertissemens enfantins ! Le sang appauvri dans les veines des familles germaines et frankes, que l’Europe avait jadis reconnues pour maîtresses, avait, de voluptés en voluptés, perdu sa vigueur première.