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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/148

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On ne trouvait plus sous les blasons que sots amusemens, folles jalousies, dégénération profonde, galanteries vulgaires et oubli de la dignité ; les vertus même y apparaissaient énervées, et la roture s’en apercevait bien, car tous ces palais étaient de cristal ; on savait ce qui se passait à Trianon comme à Palerme, à Versailles comme dans Aranjuez, où le roi croyait aux sorciers, et craignait d’être métamorphosé avec sa voiture en oranger dans sa caisse[1]. Sur ces pauvretés et ces faiblesses dont 1789 fut le dénouement, sur ces descendans des vieilles races, dépensiers et ruinés, ennuyés et sensuels, voici un voyageur qui nous apporte mille petits contes de bonne femme, Barrit aniles ex re fabellas vicino, sans prétention à la philosophie politique, mais où respire la fraîcheur du vrai.

Suivez Swinburne à Paris, à Trianon, à Madrid et à Naples, vous y verrez Mme de Pompadour, Mme Dubarry, Acton, lady Hamilton, Galiani, Aranda, non tels que les palettes et le clinquant des romanciers nous les donnent, mais réels, dans leur déshabillé du matin, comme ils étaient à tous les yeux. — En avril 1774, il est présenté avec le duc de Dorset au roi Louis XV qui va mourir. « J’ai eu l’honneur de voir sa majesté en gilet et en manches de veste ; il n’y a que les ambassadeurs des familles alliées aux Bourbons qui la voient en gilet de flanelle. Elle a babillé opéra avec ses courtisans, marmotté une prière avec le cardinal de la Roche-Aymon, nous a regardés fixement (stared at us), puis est partie. Le dauphin (depuis Louis XVI) est gauche, marche mal, et est mal bâti (awkwardly made). Sans être laid, puisqu’il ressemble à son grand-père, il a le nez beaucoup trop proéminent et busqué, et semble un bonhomme. Il parle gaiement et beaucoup. Son teint est bis (sallow), et l’ensemble n’est pas favorable. Son frère cadet (depuis Louis XVIII) est agréable, et le troisième (depuis Charles X) aussi, bien que la bouche soit trop grande, et que l’on aperçoive les gencives et les dents d’une façon qui déplaît. Ils ne sont pas encore formés ; leurs jambes et leur buste manquent de force, et ils se dandinent d’un pied sur l’autre avec une inquiétude fatigante, comme font quelques-uns des membres de la famille royale d’Angleterre. Le temps semble leur peser, tant les questions qu’ils adressent sont puériles et frivoles ; d’ailleurs ils se montrent familiers et ennuyés : je les ai vus se mettre à la poursuite d’un valet qui emportait

  1. Voyez les Mémoires du marquis de Louville, t. I.