Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Traversant pendant la nuit le petit hameau de Courtenay, à trois lieues et demie de Bellary, nous poussâmes jusqu’à Dirijie, gros village à quatre lieues plus loin, que nous atteignîmes au lever du soleil. Nous y fûmes rejoints dans la matinée par la célèbre mistriss Y. et son mari. Leurs chevaux les avaient précédés, et ils arrivaient en palanquin. Mistriss Y. était la Diana Vernon de l’Inde. Elle était connue pour le meilleur jockey, le meilleur groom, le plus habile vétérinaire et la plus intrépide chasseresse de la colonie. Joignez à cela une beauté d’Anglaise, une simplicité, une gaieté et un cœur d’enfant, et nous serons bien près d’arriver au beau idéal de son sexe. Les chevaux, c’était sa passion, passion funeste qui lui avait coûté le bonheur d’être mère. La chasse, c’est-à-dire cette chasse qui consiste à suivre dans une course au clocher la fuite du renard ou du sanglier, c’était pour elle une frénésie ; mais elle n’y portait d’autre arme que sa houssine légère dans la plus petite main imaginable. Les chevaux les plus fougueux lui obéissaient, et l’animal qu’elle montait de préférence était un superbe alezan qui avait appartenu au résident d’Hyderabad, et tellement méchant que celui-ci avait été sur le point de le faire mettre à mort quand mistriss Y. s’offrit à le dompter. Elle y parvint, et le résident lui en fit hommage. Elle seule pouvait l’approcher, et cette créature qui aurait dévoré toute autre personne que son intrépide maîtresse se laissait caresser et baiser au front par la jolie femme qui l’avait vaincue, mangeait dans sa main, et la suivait sans palefrenier quand il lui plaisait de marcher devant en lui laissant les rênes sur le cou.

Le 3 mars, nous avançâmes jusqu’à Kammalpour (une distance de cinq lieues) en forçant deux renards sur notre route. On est ici à une lieue du Tombouddra, et sur la lisière du jongle qui a envahi les ruines et tous les environs de Vijayanagar. Nous étions attendus par le collecteur (magistrat et percepteur du district), M. Robertson, et son premier assistant. Leurs tentes étaient dressées à l’ombre de quelques beaux tamariniers. Trois éléphans, de ceux que la compagnie entretient à Dirijie pour le transport des bagages de la division de Bellary, mais choisis pour l’occasion comme des vétérans accoutumés à la chasse au tigre, étaient enchaînés à quelques pas de nous au milieu de tout un troupeau de bœufs, de chameaux et de bêtes de somme exclusivement à notre service. Le milieu du jour fut consacré à mûrir nos plans pour le lendemain. Notre belle Diane ne pouvant nous accorder que deux ou trois jours, il fut convenu que la chasse passerait avant