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allure, et le sanglier pensa bientôt de même, car, faisant un brusque détour à droite, il regagna la montagne. Alors les embarras recommencèrent. Par bonheur le sanglier, déjà horriblement échauffé de sa course, chaque fois qu’il traversait un filet d’eau, ne manquait pas de s’y vautrer. Il laissait échapper ainsi un temps précieux, et nous ne manquions jamais de regagner le terrain perdu. Enfin, voulant respirer à toute force, l’animal fit volte face, s’adossa à un buisson et attendit notre venue. L’un des chasseurs se présenta à la charge, mais le sanglier s’élança vers lui, et d’un coup de boutoir le roula dans la poussière avec sa monture, puis le monstre reprit sa course, et nous nous remîmes à sa poursuite. Les choses ne pouvaient aller toujours ainsi. Évidemment le sanglier était sur les dents, et nos chevaux n’étaient guère moins fatigués. Enfin, enlevant mon arabe des rênes et de l’éperon, j’arrive à côté de l’animal : un autre bond me le fait dépasser, tandis que le fer de ma lance disparaît dans ses flancs. Se sentant blessé, le sanglier se tourne avec l’intention de charger ; et comme instinctivement je ne voulais point lâcher le bois de ma lance, la secousse m’enlève des étriers et me jette sans connaissance au pied d’un arbre. Heureusement le fer restait dans la plaie, et, avant qu’il pût atteindre mon cheval, le sanglier expirait de sa blessure. Deux de ces animaux succombèrent de la même manière sous les coups des autres chasseurs.

Le 5 mars fut employé de diverses manières par les différens membres de la caravane. Ceux qui avaient encore des chevaux frais recommencèrent les courses de la veille. Les autres (et j’étais de ce nombre) se mirent en quête des bécassines fort nombreuses dans les champs de riz du voisinage. Chasseur aveugle et maladroit, j’avais perdu mes peines, et je m’en revenais au rendez-vous, vers le milieu du jour, le sac vide et d’humeur assez maussade, quand j’appris d’un de nos camarades un de ces traits de dévouement où se signale parfois le cœur d’une épouse, et dont on voudrait éterniser le souvenir. Le capitaine Y… avait d’abord suivi la chasse au sanglier, mais, désappointé dans une première course, il avait demandé son fusil. Comme il le recevait des mains de son palefrenier, il vit sauter, sur un rocher à quelque distance, une guenon suivie de ses petits. Le capitaine avait un certain talent pour empailler, et il lui manquait dans sa collection un singe de cette espèce. Il se mit donc à la poursuite de la petite famille qui, habilement dirigée par la mère, lui échappa long-temps. Après plus d’une lieue, le capitaine perdit patience et tira de fort loin. La guenon tomba sur le coup. Comme il descendait de cheval