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les jambes à un fin et pénétrant moraliste qu’il ne ferait pas moins de découvertes dans des pays connus ou non. En général, c’est donc le voyageur qui importe plus que le lieu du voyage. Cependant il est tel sujet qui intéresse assez par lui-même, qui fait d’abord ouvrir le livre, couper les pages. De ce nombre est la présente excursion.

Un voyage autour de la chambre des députés ! mais voilà qui peut être aussi agréable qu’instructif. Vous allez donc nous apprendre la géographie et les mœurs de ce pays. Vous allez nous (lire comment se font et se défont les lois, comment on devient ministre et comment on cesse de l’être. Vous démontrerez l’attraction irrésistible qu’un portefeuille rouge exerce sur celui-ci, et la frayeur insurmontable qu’un marbre blanc haut de trois pieds inspire à celui-là, au point de lui enlever net la parole. Vous entrerez dans plus d’une conscience et en dévoilerez le fond ; vous éventerez mille secrets. — Un voyage autour de la chambre des députés ! êtes-vous déjà en route ? Introduisez-moi donc dans l’intimité de ces hommes qui mènent les affaires de la France, et dont les paroles ont des échos dans toute l’Europe. Peignez-nous en pied M. Thiers et M. Guizot, et essayez d’être neuf après tant d’autres peintres. Montrez-nous au vrai M. Berryer et M. de Lamartine, le premier si grand orateur quand on l’écoute, et le second quand on le lit. Tâchez d’analyser M. Dupin, qui ne vieillit pas. Faites estimer, autant qu’il dépendra de vous, M. Odilon Barrot, toujours si grave, qui conserve encore presque tout son prestige au dehors, M. Dufaure qui s’efface, et M. Billault qui monte. M. Mauguin est bien déchu, n’est-ce pas ? Expliquez cette décadence ; expliquez aussi comment M. de Tocqueville, un homme d’un mérite réel, s’essouffle à devenir un chef de parti, ce qu’on ne devient pas en s’essoufflant. Parlez encore longuement de quelques autres ; puis, si vous ne voulez pas absolument nous faire grace des médiocrités vaniteuses, fustigez-les, en courant de banc en banc, dans la salle des conférences, dans les couloirs, dans les bureaux, partout. Est-ce fait ? A demi seulement.

Le Slave a eu l’ambition de donner un récit complet de son voyage, et, s’il n’a pas toujours réussi quant aux hommes, il faut reconnaître qu’il est d’une exactitude parfaite quant aux choses ; il n’a rien omis sur ce point. Il commence par décrire le palais avec ses diverses entrées, ses grands vestibules, son paisible jardin, ses statues. Il jette un coup d’œil sur le passé et raconte dans quel cérémonial l’empereur et Louis XVIII venaient à la chambre. Il fait une longue halte dans la salle des Pas-Perdus, et il trace là un des chapitres les plus curieux de ses tablettes. C’est là qu’il attrape, pour nous la transmettre, la physionomie de chaque député qui a un nom, et qu’il lance ses anecdotes les plus piquantes. Après quoi, il passe à la chapelle, aux bureaux de la chambre, à la bibliothèque, qui compte cinquante mille volumes et où ne puisent qu’un petit nombre de députés, et à la buvette, où ils vont toits. Ainsi, le Slave ne laisse pas un coin de la chambre sans l’explorer, et il présente en même temps le député sous toutes ses faces et à toutes les