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heures de sa vie parlementaire, de telle sorte que son livre est un vade-mecum très commode pour quiconque veut se mettre au courant de nos mœurs représentatives : c’est le guide de l’électeur à Paris.

Quand on voit le Slave parcourir d’un pas alerte les diverses tribunes de la salle des séances et arriver, bon pied bon œil, à la tribune dite des journalistes, on s’attend à des portraits, et l’on est tout contrarié qu’ils ne viennent pas. Il eût été piquant, en effet, de voir juger les juges, et d’apprendre à quel point, chez, ces maîtres profès de l’opinion publique, le style est l’homme. Toute la presse parisienne est dans cette loge : plumes légères, dédaigneuses, mordantes ; plumes magistrales et ennuyeuses ; jeunes plumes qui ne savent pas assez, et vieilles plumes qui ressassent ; dégoûts profonds, colères factices, verve spirituelle, en un mot, je le répète, toute la presse. Quelles bonnes pages ironiques et sérieuses aurait pu écrire le Slave, s’il eût voulu tirer parti de son sujet ! Pourquoi a-t-il laissé échapper cette bonne fortune ? Dieu me pardonne, je crois que le courage lui a manqué. Un Slave est courageux sans doute, et le nôtre a fait ses preuves : il a bravé la colère de l’autocrate ; mais on peut fort bien braver l’autocrate et craindre d’offenser ce congrès de roitelets qui siège dans la tribune des journalistes.

M. Tanski (on peut aujourd’hui dire le nom du Slave sans indiscrétion) a été moins réservé dans le chapitre de son livre qu’il a intitulé : Généraux et chefs de corps des armées parlementaires. Je l’en féliciterais, si, tout en nous dévoilant avec habileté les secrets de la stratégie, les marches et contremarches de l’opposition et du ministère, il n’eût pas été plus d’une fois injuste envers quelques hommes éminens. Il dit, par exemple, que « M.Thiers aime à coucher sur le champ de bataille, mais qu’il dédaigne de s’y fortifier, » et c’est pour cette raison, on ne s’en serait pas douté, que M. Thiers est tombé deux fois si rapidement du ministère. J’en demande pardon à l’auteur du Voyage, il se trompe. Au 22 février et au 1er mars, M. Thiers n’a pas dédaigné de se fortifier sur le champ de bataille ; il était fortifié suffisamment, et il s’est retiré, on sait pourquoi, en pleine majorité. Ces deux retraites ont été assez éclatantes pour qu’il ne soit pas permis d’en méconnaître le sens et la portée. Je m’étonne que M. Tanski ait commis cette faute, et je m’étonne également qu’à son avis les rapports de M. Duvergier de Hauranne manquent de nerf et de caractère. Si les rapports de M. Duvergier de Hauranne méritent ce traitement, qui donc, dans la chambre, est capable d’écrire un bon rapport ?

D’autres fois, M. Tanski n’est pas injuste, mais il est avare. Ainsi il se, contente de consacrer deux lignes à M. de Rémusat. Il y avait tout un portrait à faire. Écrivain qui sait unir la grace à la force, orateur qui, à plusieurs reprises, a fait entendre les accens d’une conscience passionnée ; spirituel et sensé, bienveillant et ferme, éloquent et honnête, M. de Rémusat ne réunit-il pas des qualités qui font de lui comme un Benjamin Constant incapable de faiblesse ? Encore une bonne page que l’auteur du Voyage a laissé échapper.