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Pendant que le Slave trébuchait dans quelques-uns de ces jugemens littéraires et politiques, plusieurs erreurs de faits se glissaient dans le Voyage autour de la Chambre des Députés. M. Tanski donne M. Vivien et M. Léon de Maleville comme d’anciens lieutenans de Casimir Périer. Or, chacun sait que M. Vivien, même préfet de police, était loin d’être en communion parfaite avec son ministre. Quant à M. de Maleville, que l’auteur, du reste, appelle un esprit lucide et un caractère droit, et qu’il pourrait, avec la même raison, appeler un orateur incisif et de bon goût, il n’est entré à la chambre qu’en 1834, deux ans après la mort de M. Périer.

Cela dit, ce compte réglé, nous aimons à rendre justice au livre de -NI. Tanski. Il y règne d’un bout à l’autre un ton excellent ; les personnalités n’y sont jamais offensantes, et, même aux endroits les plus hasardés, il reste dans les bornes de la discrétion. De plus, le Slave est bien informé, il en sait long, il n’est jamais à court de détails, et son livre est, en quelque sorte, la chambre prise au daguerréotype. Avec les récits de M. Tanski sous les yeux, on a le tableau exact des grandeurs et des petitesses du régime parlementaire ; on pénètre au cœur des institutions représentatives, et l’on sait ce qu’il faut espérer et ce qu’il faut craindre.

En lisant dernièrement l’ouvrage étrange de M. le prince de Polignac, et en voyant cette pauvre tête se lever fièrement du milieu des ruines qu’elle a amoncelées, je me disais que jamais incapacité plus profonde n’avait présidé aux destinées d’un grand peuple. M. de Polignac ne comprend rien, absolument rien à notre temps et à notre pays. On disait, sous la restauration, de M. de Richelieu, que c’était l’homme de Crimée qui connaissait le mieux la France ; on ne pourrait pas dire de M. de Polignac que c’est l’homme de Bavière qui nous connaît le mieux, car il est sûr que bien des gens en Bavière sont plus avancés que lui. Eh bien ! cependant, M. de Polignac a été président du conseil. Les destinées de la France ont été remises en ses mains. — Avec le gouvernement parlementaire, tel que nous l’avons aujourd’hui, un pareil malheur ne serait plus possible. Nous n’avons rien à craindre de l’incapacité ; le danger est ailleurs. Ne redoutons pas les incapables, mais craignons le talent sans patriotisme. Avec une chambre partagée en mille nuances et sans majorité décidée, avec les besoins particuliers de plusieurs, la versatilité de quelques-uns, la vénalité de quelques autres, il serait possible qu’un homme supérieur, sans être échauffé de l’amour du pays, s’emparât du pouvoir et le gardât. Qu’arriverait-il alors ? L’incapacité avec de bonnes intentions perdit une dynastie ; le talent sans patriotisme rapetisserait la France.


PAULIN LIMAYRAC.