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de Joinville, dont le témoignage assurément n’est pas suspect, on verra combien ses critiques sont accablantes pour l’administration. Il en est de même des reproches que la tribune a fait entendre dans le dernier débat sur la marine ; M. de Mackau a vainement essayé de se justifier : ces reproches sont restés sans réponse. Les abus qui se passent dans les arsenaux sont notoires. Les moyens que l’administration emploie pour y remédier sont insuffisans. On avait promis un contrôle ; celui que l’ordonnance du 14 juin a prescrit est incomplet. Pourquoi l’administration se refuse-t-elle à rétablir le contrôle créé par Colbert, maintenu par les arrêtés de l’empire, et si malheureusement aboli en 1828, organisation simple et puissante, qui plaçait le matériel naval sous la garantie d’une direction supérieure, et donnait au contrôle la force de l’unité, tandis qu’aujourd’hui l’absence de vérification centrale et d’attributions distinctes, une surveillance éparse, une responsabilité illusoire, rendent le contrôle à peu près nul ? Pourquoi M. de Mackau résiste-t-il encore sur ce point au vœu exprimé par trois commis, siens, ? Quels sont ses motifs ? Est-ce la crainte de blesser des amours-propres ou des intérêts de corps ? Peut-on sérieusement invoquer de pareilles raisons devant l’intérêt de l’état ? Ensuite, comment se fait-il que l’administration de la marine persiste à ne pas exécuter les intentions des chambres dans l’emploi des crédits ? Depuis plusieurs années, les prescriptions parlementaires sont éludées à l’aide de la rédaction vicieuse des budgets. Les fonds votés pour les constructions sont appliqués aux armemens ; de là est venu surtout le dépérissement de la flotte. Pourquoi enfin tant de sollicitude pour les dépenses du personnel, et tant d’indifférence pour le matériel naval ? On veut augmenter la paie des officiers, et l’on ne veut pas construire des vaisseaux ! En vérité, nous comprenons que les passions commencent à s’emparer de cette question de la marine. Nous sommes encore de ceux qui ne voient dans cette question qu’un défi jeté à l’opinion par l’esprit de routine et par l’inertie administrative ; mais quand on songe à la persévérance du mal et à l’opiniâtreté de la lutte, on est bien embarrassé pour disculper le gouvernement des graves reproches que les partis violens ne craignent pas de lui adresser.

Il fallait trouver un remède énergique à cette situation. Deux moyens se présentaient : une enquête parlementaire, ou une enquête administrative. L’opposition, voulant garder jusqu’au bout cette attitude défiante, mais modérée, qu’elle a constamment montrée pendant la session, a préféré l’enquête administrative, quia été votée par la chambre sur la proposition de M. Lacrosse, soutenue par M. Billault. À l’ouverture de la prochaine session, les chambres recevront un compte spécial et détaillé de l’inscription maritime et des équipages de ligne, de l’état des bâtimens de la flotte, de l’approvisionnement des arsenaux et des constructions navales. Tel est le nouvel amendement imposé au ministère. Enfin, la vérité sera connue, ou plutôt le gouvernement sera forcé d’avouer ce que tout le monde sait. Ce ne sera pas, sans doute, un plaisir pour nous de contempler nos misères, et de