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des exaltés, ait embrassé vivement la cause de M. Guizot ; mais les conservateurs indépendans, les esprits modérés, ceux que le traité du Maroc et l’indemnité Pritchard avaient douloureusement émus, ceux qui accusaient M. Guizot d’imprudence ou de faiblesse, et qui trouvaient sa politique dangereuse, ceux enfin qui appelaient de tous leurs vœux une combinaison nouvelle, où le parti conservateur fût dignement représenté, pourquoi n’ont-ils pas favorisé cette combinaison quand elle s’est offerte ? Nous ne chercherons pas à expliquer cette contradiction.

Heureusement, l’opposition ne s’est pas démembrée. Sauf quelques désertions isolées et sans importance, les rapprochemens qui s’étaient opérés entre le parti conservateur et le centre gauche, dans l’une et l’autre chambre, se sont maintenus. L’homme d’état qui avait inauguré la session par un discours plein de sagesse, où le langage d’une opposition naissante se conciliait avec les plus fermes principes du pouvoir, a conservé sa ligne. Le centre gauche aussi a gardé la sienne. Fidèle au programme de modération que les imprudences de la politique ministérielle avaient rendu nécessaire, appliqué à calmer les esprits plutôt qu’à les irriter, mesuré dans ses paroles et dans ses actes, le centre gauche s’est conduit avec une loyauté habile, qui a augmenté son influence dans le pays. Le contact avec les membres dissidens du parti conservateur ne lui a pas été inutile. Il a toujours parlé, toujours agi comme un parti de gouvernement. Il a pris l’initiative des sages mesures ; il est venu en aide à la faiblesse du pouvoir. Il n’a fait aucune motion violente, aucune proposition de nature à inquiéter les esprits. Sans rappeler les discours de M. Thiers, admirables modèles de l’éloquence politique, sans rappeler M. Billault, dont la parole, toujours entraînante, mais toujours contenue, a remporté cette année des triomphes si éclatans, qui refuserait de rendre justice à la modération qu’ont montrée des esprits éminens comme M. de Rémusat, dont l’action parlementaire a été si discrète, ou comme M. Duvergier de Hauranne, dont le langage et les écrits ont toujours été si mesurés ? S’il y a aujourd’hui des différences profondes entre le centre gauche et le parti conservateur, assurément, le pays ne les aperçoit pas. La seule différence réelle qui nous frappe, c’est que le centre gauche sait ce qu’il veut, dit ce qu’il pense, et marche droit vers son but, tandis que le parti conservateur, dont les intentions sont à peu près les mêmes que celles du centre gauche, n’a pas le courage de ses convictions, et n’ose suivre jusqu’au bout les conseils de son patriotisme et de son bon sens.

Le ministère a donc vécu par tolérance. Entre l’opposition qui votait contre lui et les conservateurs qui le désavouaient, il a trouvé une place étroite et s’y est maintenu, en dépit des souffrances de sa dignité. La majorité, mécontente de lui, et plus encore d’elle-même, s’est consolée en lui infligeant des échecs. Chaque jour a été signalé par une défaite ministérielle. Nous avons vu la chambre contraindre le ministère à annuler des traités de commerce qu’il avait signés et ratifiés. La signature royale, apportée sur le marbre de la tribune, a été rayée. Nous avons vu des projets de loi rejetés,