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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/20

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bien le moins après la déesse Raison. La mode s’en mêla, comme elle se mêle à tout : on se fit un rôle de gastronome et d’épicurien.

Oui, nom d’un chien !
J’veux t’être épicurien,


se disait plus tard Cadet Buteux dans la chanson. De très honnêtes gens se l’étaient dit avant Cadet Buteux, et s’étaient crus obligés de l’être en dépit de leur estomac lui-même, invita Minerva. Des personnages que nous avons connus très graves et même moroses (Eusèbe Salverte, par exemple) avaient débuté, grelots en main, sous ce masque de gaieté. Desaugiers n’eut pas à le prendre ; il saisit, comme on dit, la balle au bond, et la relança de plus belle. On peut dire que la gaieté, en France, n’eut son plein accent et tout son écho que lorsqu’il y fut revenu.

Pendant les deux ou trois premières années qui suivirent son retour, nous le perdons un peu de vue : il ne resta pas tout ce temps à Paris. Attaché, comme chef d’orchestre, à une troupe de comédiens, il alla, me dit-on, à Marseille, et fit ses caravanes en province. Molière, jeune, les avait faites aussi. On a depuis brodé sur cette époque de la jeunesse de Desaugiers, car il a eu, et il a sa légende, comme il convient à un type jovial et populaire ; on a inventé mainte anecdote sur lui non moins que sur Rabelais, non moins que sur La Fontaine, et il est devenu matière à vaudevilles à son tour. On ne sait rien d’ailleurs de précis ; il parlait peu de son passé et de ses aventures de jeunesse, ou du moins il n’en parlait qu’en courant, entre la coupe et les lèvres ; il en disait quelquefois : « J’écrirai tout cela un jour, quand je serai vieux ; » mais ce souvenir, chez lui, n’était qu’un éclair, et l’abondance de la vie présente, le jet de chaque moment, recouvrait tout[1].

Depuis mars 1799, où il donnait au théâtre des Jeunes-Artistes le Testament de Carlin, on le trouverait sans interruption mêlé à une foule de petites pièces de tout genre, opéras comiques, vaudevilles, tantôt comme auteur unique, tantôt et le plus ordinairement comme

  1. Dans une notice sur Desaugiers (Chants et Chansons populaires de la France, 39e livraison), M. Du Mersan, qui l’a bien connu, a dit en effleurant cette époque : « Il voyage avec quelques amis, et, leur bourse légère étant épuisée, ils se font acteurs de circonstance. Leur talent ne répondant pas à leur bonne volonté, ils fuient la scène ingrate qui ne les nourrissait pas, et laissent jusqu’à leurs vêtemens pour gages. » - Les Mémoires de mademoiselle Flore (chap. VI), nous montrent Desaugiers chef d’orchestre au petit théâtre dit des Victoires nationales, rue du Bac, vers l’année 1799.