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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/21

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collaborateur pour une moitié ou pour un tiers. Son esprit à ressources excellait à ces jeux de circonstance, à ce travail en commun de quelques matinées. Chansonnier, musicien, metteur en scène, plein de gais motifs et de saillies, il était là dans son élément. On raconte qu’un jour l’acteur qui faisait Arlequin, dans je ne sais quelle farce de lui, se trouvant indisposé au moment de la représentation, il le suppléa à l’improviste et joua incognito le rôle avec applaudissement[1]. Le chiffre des pièces auxquelles il a pris part ne va pas à moins de 115 ou de 120. Nous n’aurons point à l’y suivre ; la plupart de ces productions légères ressemblent à un champagne autrefois piquant, mais dont la mousse s’est dès long-temps évaporée. Une couple de fois, il parut vouloir tenter une scène plus haute : en 1806, il donna seul le Mari intrigué, comédie en 3 actes et en vers, très faible, qui fut jouée au théâtre de l’Impératrice, autrement dit théâtre Louvois ; en 1820, il atteignit aux cinq actes, également en vers, et fit jouer à l’Odéon une comédie, l’Homme aux précautions, dont je n’ai rien absolument à dire. Le joli acte de l’Hôtel garni, fait en société avec M. Gentil, est resté à la Comédie-Française. Mais l’originalité de Desaugiers et sa vraie veine doivent se chercher ailleurs ; laissons là ces prétendus succès d’estime, et qu’on me parle de son Dîner de Madelon ! Comme vaudevilliste et auteur dramatique, il prit rang vers 1805 et ne cessa, durant les vingt années qui suivirent, d’attester chaque soir sa présence par cette quantité de folies, de parades, de parodies plaisantes, dont les représentations se comptaient par centaines, et qui fournissaient aux Brunet et aux Potier des types d’une facétie incomparable : M. Vautour, la série des Dumollet, le père Sournois, et tant d’autres. Comme chansonnier proprement dit, il débuta et se classa d’emblée, vers 1806, à titre de convive du Caveau moderne : c’est par ce côté qu’il nous appartient ici.

Il y aurait une jolie histoire à esquisser, celle de la gaieté en France. La gaieté est avant tout quelque chose qui échappe et qui circule ; mais elle eut aussi ses rendez-vous réguliers, ses coteries et foyers de réunion, ses institutions pour ainsi dire, aux divers âges. Laujon, au tome IV de ses Œuvres, a tracé un petit aperçu des dîners chantans, à commencer par l’ancien Caveau, dont la fondation appartient à Piron, Crébillon fils et Collé, et qui remonte à 1733[2]. On remonterait

  1. On apprend des Mémoires, déjà cités, de mademoiselle Flore (chap. II) que c’était le rôle d’Arlequin cadet, joué d’ordinaire par Monrose, dans L’un après l’autre (théâtre Montansier, 1804).
  2. Laujon a varié sur cette date ; dans une notice sur le même sujet insérée dans le recueil des Dîners du Vaudeville (mois de frimaire, an IX), il indique l’année 1737. Je livre ces discordances aux futurs historiens et aux chronologistes de la chanson.