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jeune homme de vingt-cinq ans, d’une bravoure à toute épreuve, d’une intelligence remarquable et d’une rare élégance en sa personne, qui avait voué aux Espagnols une haine implacable, pareille à celle que jura Annibal aux Romains entre les mains d’Hamilcar. Cortez, qui a mesuré les difficultés de son entreprise et qui ne veut rien négliger pour le succès, établit des règlemens qu’il enjoint aux siens d’observer fidèlement. Ce recueil d’ordonnances militaires nous a été conservé. Le but suprême qu’il indique à ses compagnons d’armes est la conversion des païens ; c’est le secret de leur force et la condition de leur triomphe. Autrement, dit-il, cette guerre est souverainement injuste, et tout ce qu’elle nous procurerait serait un bien mal acquis. De là des dispositions qui interdisent, sous des peines sévères, le blasphème, le jeu, etc. On dirait une armée de croisés et de croisés disciplinés, et en effet Cortez se supposait le chef d’une croisade, comme avait pu le faire Godefroi de Bouillon. Du côté opposé, les prêtres, qui ont une grande influence sur Guatimozin, prêchent aux Aztèques qu’il n’y a pas de compromis possible avec les Espagnols violateurs des temples, et qu’avec eux il faut vaincre ou périr. Comme dans la Jérusalem délivrée, le ciel est en présence d’un olympe païen ou des anges déchus compagnons de Satan. Comme dans l’Iliade, les hommes croient voir les habitans du céleste séjour prendre parti pour eux et descendre dans leurs rangs. C’est au moins ce qui advient aux Espagnols, qui, à mainte reprise, sont persuadés qu’ils ont distingué dans les airs la vierge Marie, ou à côté d’eux saint Jacques sur son cheval blanc, ou saint Pierre patron de Cortez.

De part et d’autre, il y a une multitude innombrable de combattans, car Cortez a eu jusqu’à 150,000 auxiliaires ; des deux côtés, un dévouement extraordinaire et une prodigieuse ardeur. Les Aztèques se défendent comme un peuple qui combat pour ses autels et pour ses foyers. Les Espagnols se conduisent comme des prédestinés qui ont à exécuter un arrêt du ciel, et comme des ambitieux qui ont à conquérir à la pointe de l’épée des richesses et des titres. Les Indiens auxiliaires cherchent à assouvir de longs ressentimens, à tirer des représailles d’une violente oppression ; ils veulent exterminer d’anciens maîtres qui les anéantiraient eux-mêmes, si l’on n’en triomphait. Plus d’une fois la victoire est indécise, malgré le courage féroce des gens de Tlascala et la vaillance sanguinaire du prince de Tezcuco, Ixtlixochitl. C’est toujours l’intrépidité de cette poignée d’Espagnols, et c’est souvent la bravoure personnelle de Cortez qui enlève le succès, non sans l’acheter chèrement. On se bat par terre et par eau, à distance et corps à corps,