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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/230

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sur eux une rue de plus, on y trouvait les cadavres entassés en pourriture. Eux si soigneux de la sépulture, ils avaient cessé de la donner aux morts. Dans les maisons, on rencontrait des femmes et des enfans décharnés, ne pouvant plus se traîner, car tout ce qui avait la force de se tenir debout se concentrait dans les quartiers insoumis encore. Dans cette triste situation, on les entendit plus d’une fois reprocher aux Espagnols de ne pas en finir. « Vous n’êtes pas les fils du Soleil, car il est, lui, rapide en sa course, et vous, que vous êtes lents dans votre destruction ! Achevez-nous donc, afin que nous allions enfin près de notre dieu Huitzilopotchli, qui nous tiendra compte de tout ce que nous souffrons pour lui ! » D’autres fois ils les bravaient, leur disant qu’ils chercheraient en vain les trésors ; qu’on avait tout enseveli dans des cachettes dont ils n’auraient pas le secret. Et il ne fallait pas leur parler de se rendre : Cortez ayant adressé à Guatimozin un prisonnier d’un haut rang pour le presser de traiter, on assure que Guatimozin envoya ce parlementaire à la pierre du sacrifice.

Bientôt il ne resta plus aux Aztèques qu’un quartier, le plus incommode de tous, faisant à peine le huitième de la cité, et où il n’y avait pas assez de bâtimens pour leur donner asile. Plusieurs demeuraient, la nuit comme le jour, en plein air dans les bateaux, parmi les roseaux du lac. Chaque jour, Cortez acquérait des preuves nouvelles de l’extrémité à laquelle ils étaient réduits. Pendant quelque temps, ils avaient pu se soutenir en dévorant les prisonniers qu’ils faisaient dans les sorties. Cette ressource même leur était ravie. On en surprenait la nuit qui rôdaient pour ramasser des débris que les amimaux immondes eussent dédaignés, ou pour arracher de leurs ongles une poignée d’herbes, et on raconte qu’on vit des mères égorger leurs enfans pour les manger. Une épidémie causée par les miasmes dont l’air était empesté décimait ceux qui échappaient au glaive et à la famine. Cortez fut saisi de pitié ; il donna les ordres les plus formels pour qu’on épargnât tout ce qui ne commettait aucune agression ; mais quel moyen de se faire obéir de ses alliés les féroces Tlascatèques et des ci-devant vassaux des empereurs aztèques, qui avaient à exercer des vengeances pour le joug pesant sous lequel on les avait courbés ? En même temps il renouvelait ses efforts pour obtenir de Guatimozin qu’il se soumît. Sur les instances des chefs, le jeune monarque consentit enfin à une entrevue. On se donna rendez-vous à la vaste place du marché, sur une grande plate-forme qui autrefois servait à des représentations populaires. Cortez y fit étendre des tapis et dresser un banquet où il comptait prier son vaillant ennemi d’assouvir