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un beau rôle encore que celui de cette jeune et belle fille des bords du Guazacoalco, issue d’un cacique, qu’une mère dénaturée vend honteusement à des marchands d’esclaves dans son enfance, et qui, cédée par un cacique du Yucatan à Cortez, devient l’interprète, l’affidée conseillère et, disons-le sans détour, l’amante du capitaine. Dona Marina, toujours à côté de Cortez, ne se borne pas à transmettre ses discours aux Mexicains. Par l’effet de cette puissance de divination que la femme qui aime possède beaucoup plus que tout homme au monde, elle lui donne, en quelque situation qu’il soit, de salutaires avertissemens. Par elle, Cortez devine les espions qui ont été dépêchés par Xicotencatl pour endormir sa vigilance, et qu’à la suite de sa découverte il renvoie à leur général, le poing coupé. Par elle de même, dans la ville sacerdotale et commerçante de Cholula, il est mis au courant de la formidable conspiration où l’on espère exterminer d’un coup la petite armée castillane. Marina produisait une grande impression sur les indigènes. « Belle, dit Camargo, l’historien de Tlascala, comme une déesse, elle semblait aux Mexicains un être supérieur à eux-mêmes, quelque chose au-delà de la nature humaine. » Sa liaison avec Cortez, qui n’était ignorée de personne, fit qu’ils le nommèrent d’après elle : son vrai nom étant Malinche, Cortez ne fut plus désigné que par le nom de Malintzin. L’entrevue et la réconciliation de Marina avec sa mère, que le plus étrange des hasards place sur le chemin de Cortez pendant l’expédition de Honduras, qui suivit immédiatement la prise de Mexico, est une page fort intéressante.

Si l’on voulait comparer les efforts matériels que rapportent l’Iliade et l’Énéide à ceux de la conquête, la supériorité encore serait tout entière du côté de ce dernier drame. La mêlée de la noche triste a bien plus de grandeur et d’horreur que l’assaut de la muraille dont se sont entourés les Grecs. Qu’est-ce que cette muraille elle-même auprès de celle dont se sont fortifiés les gens de Tlascala contre les Aztèques, ou en comparaison des retranchemens dont s’entoure Cortez pendant le siège ? Qu’est-ce que l’attaque des vaisseaux par Hector auprès des furieux assauts que livrent les Aztèques au palais d’Axayacatl, occupé par les Espagnols, avant la noche triste ? Que signifie la difficulté d’ériger en ais de sapin la masse caverneuse du cheval fatal à Ilion, proposé par l’artificieux Epeus, auprès de la construction de treize navires de guerre dans les forêts de Tlascala par les soins du praticien Martin Lopez, et du transport de cette armada, pièce par pièce, à dos d’hommes, à travers les montagnes, pendant