Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Directoire, elle était en train de tout envahir et de déborder : l’Empire fit là comme ailleurs, il fit des quais. La gaieté y put couler à pleins bords dans un lit tracé.

C’est Tyrtée ou Callinus qui a dit, s’adressant à la jeunesse oisive : « Jeunes gens, vous vous croyez en pleine paix, et la guerre embrase toute la terre. » Ceci s’appliquerait très bien au très petit nombre de jeunes gens ou d’hommes jeunes encore, qui avaient trouvé moyen d’éviter la conscription et de rester à Paris sous l’Empire. Sous ce gouvernement fort et victorieux, dans ce silence absolu de toute discussion politique sérieuse, on avait pris le parti, quand on le pouvait, de jouir de la vie, du soleil de chaque matin, de rêver la paix et d’en prélever les douceurs. On s’était refait une sorte de sécurité par insouciance, et, puisqu’on ne pouvait rien au gouvernail, on ne songeait qu’à remplir gaiement la traversée. On pratiquait l’épicuréisme tout de bon ; on répétait en chœur la ronde bachique d’Armand Goulfé : Plus on est de fous ; et du café des Variétés au café de Chartres, on s’en allait fredonnant la devise de Desaugiers et du Caveau :

Aime, ris, chante et bois,
Tu ne vivras qu’une fois.


Cette morale des joyeux chansonniers est, après tout, celle même que chante bien mélodieusement, si l’on s’en souvient, l’oiseau magique dans les jardins d’Armide : Cogliamo la rosa

Cueillons, cueillons la rose au matin de la vie !


Que si, sous sa forme purement folâtre et dans la voix bruyante de l’ivresse, elle est moins faite pour séduire les ames délicates et tendres, elle prend parfois aussi des accens d’une telle richesse, d’une folie si éclatante et si sincère, qu’elle a force de poésie à son tour, et que, bon gré mal gré, elle entraîne. Je puis assurer les élégiaques et les rêveurs que Lamartine, qui effleura cette vie de l’Empire dans sa jeunesse, apprécie fort et sait très bien rappeler à l’occasion certaines des plus belles chansons de Desaugiers.

Ce ne sont pas celles qui ont pour titre et pour sujet un de ces noms tirés au sort, comme c’était d’usage dans les réunions du Caveau, la neige, la plume, le noir, le long ; il s’agissait de broder là-dessus quelques couplets, vraie gageure de société et pur jeu d’esprit. Ces sortes de chansons, qui prêtent aux pointes et aux calembourgs, sont trop nombreuses dans le premier recueil de Desaugiers ; mais bien vite et