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ainsi dire, un corps à leurs fictions, à ce degré que le commun des hommes prend leurs récits au pied de la lettre, on peut en signaler deux principaux : l’un est l’extrême difficulté vaincue qui paraît ne pouvoir s’expliquer que par une action surhumaine ; l’autre est le concours de circonstances accidentelles, au nombre desquelles cependant, il n’est pas défendu de compter le génie, qui amènent des solutions contraires à toute probabilité, ce que, dans le langage familier, on nomme un bonheur insolent. C’est ce que le sceptique attribue au hasard, mais le vulgaire et l’homme religieux (malheur au poète qui ne l’est pas !) en font honneur à la Providence. Lorsque des faits historiques ont présenté profondément l’un ou l’autre de ces caractères, il suffit de les regarder ou de les montrer à travers la lunette de l’imagination pour y voir ou y faire voir le merveilleux. Or, il n’y a pas autre chose dans la conquête du Mexique, d’un bout à l’autre, du débarquement de Cortez à la prise de Mexico. Ce sont à chaque instant d’incroyables obstacles, surmontés par des prodiges d’intelligence, d’audace et d’énergie, ou des combinaisons fortuites qui renversent toutes les chances. Les Espagnols alors, disons mieux, la Péninsule tout entière, car qui voudrait en omettre, quand il s’agit d’héroïsme, la patrie de Vasco de Gama et d’Albuquerque ? étaient à ce moment la grande nation de l’Europe et du monde, et il semblait que le ciel se plût à leur prêter assistance.

Mais je reviens à ce que je disais en commençant. Le caractère principal de la conquête lui est venu de la religion, du prosélytisme religieux. De nos jours c’est l’amour de la gloire, l’enthousiasme pour la liberté, qui portent les hommes aux grandes actions. La passion dominante alors parmi les Espagnols était celle de la propagation de la foi : ils en étaient possédés. Il fallait un mobile aussi puissant que celui du sentiment religieux militant, pour que, même avec des instrumens tels que le bras de Cortez, au service d’une pensée comme la sienne, de pareils prodiges fussent produits. Ceux qui disent que la soif de l’or a pu inspirer tant d’héroïsme et faire accomplir de si grandes choses ne connaissent pas la nature humaine ou la calomnient. J’ai essayé ici de restituer à la conquête son véritable caractère, d’assigner aux prodiges opérés par Cortez et ses compagnons leur véritable cause. Mon but n’a pas été seulement de rétablir la vérité sur un évènement historique isolé, ou de rappeler, par un exemple éclatant, à un siècle peu croyant, ce dont la foi religieuse est capable. C’est que là est la donnée fondamentale de l’histoire entière du Mexique jusqu’à nos jours ; là est la clé de la situation présente de ce vaste