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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/261

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en tribu sous la direction d’un zaïzane, ils promènent d’une vallée à l’autre leurs troupeaux et leurs tentes ou yourtes, qu’ils recouvrent quelquefois de morceaux d’écorce d’arbre. Les tribus de l’Altaï surtout n’ont aucune idée de notre manière de vivre à l’européenne. Ils ne connaissent même pas l’usage des chariots. Les individus qui accompagnèrent M. de Tchihatcheff jusqu’au poste cosaque de l’Akabane témoignèrent le plus grand étonnement à la vue des ornières qui annonçaient le voisinage de ce centre de civilisation, et les méprises plaisantes qu’amena leur ignorance de nos usages, la naïve manifestation de leur surprise à la vue des objets les plus simples, égayèrent bien des fois les pénibles journées passées dans ces déserts par notre voyageur.

Si les Kalmouks de nos jours ont conservé les habitudes errantes de leurs ancêtres, ils ont bien dégénéré de cette ardeur guerrière qui, sous la conduite de Tchingis-Khan, leur valut l’empire de l’Asie et fit trembler l’Europe elle-même. Rien de plus timide et de plus inoffensif que ces peuples qui, devant la moindre apparence de danger, ne connaissent d’autre ressource que la fuite. Aussi leur rencontre dans ces vastes solitudes est-elle presque sans danger pour l’Européen, dont la seule vue semble les écraser comme s’ils reconnaissaient en lui un être d’une nature supérieure. Faibles et de petite taille, ils sont surtout terrifiés par l’aspect martial et les formes athlétiques des Cosaques à qui sont confiées la garde des frontières et la police du pays. Aussi ces derniers les traitent-ils avec le plus profond dédain. Lorsque M. de Tchihatcheff manquait de chevaux et ordonnait à l’un de ses Cosaques d’en aller chercher dans quelque tribu voisine, celui-ci ne prenait jamais la peine de remplir lui-même la commission. Il se contentait de remettre son sabre à un Kalmouk qui, plaçant avec respect sur ses épaules ce redoutable talisman, allait le montrer à la tribu en formulant sa demande. S’il éprouvait un refus ou des délais, il déposait le sabre au milieu des récalcitrans et se retirait sans rien dire. L’effet de cette tactique ne tardait guère à se manifester. La nouvelle qu’un sabre de Cosaque venait d’arriver répandait une alarme générale, et le messager était à peine de retour qu’on voyait arriver au galop les chevaux demandés, suivis d’un Kalmouk portant le terrible dépôt. Pour rien au monde, un Kalmouk ne voudrait conserver chez lui un sabre de Cosaque. Il passera des journées à cheval pour le rendre à son propriétaire, non pas qu’il craigne précisément les réclamations de ce dernier, mais il n’oserait laisser au milieu de sa famille