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cet instrument redoutable, qu’il croit doué de la faculté mystérieuse d’agir au nom de son maître absent.

La plupart des Kalmouks sont idolâtres. Ils reconnaissent et adorent le koutaï ou principe du bien, et le chaïtane ou principe du mal. Les sacrifices qu’ils font à ces deux déités consistent en chevaux, bœufs et moutons, qu’ils immolent soit en les écartelant, soit en leur fendant la poitrine et en y introduisant la main pour comprimer le cœur. L’animal est ensuite placé sur le feu, et après en avoir subi l’action quelques instans, il fait les frais d’un repas auquel prennent part tous les assistans, ainsi que les prêtres ou abysses. Ces derniers ne jouissent d’aucune prérogative, et en dehors des cérémonies religieuses fort simples qu’ils sont chargés de diriger, ils ne se distinguent en rien du reste de la nation. Le fanatisme est inconnu chez ces peuples. Les Kalmouks changent très facilement de religion ; mais on ne saurait avoir grande confiance en leur conversion, presque toujours amenée par des considérations toutes terrestres et un intérêt purement matériel.

Cette indifférence en matière de religion paraît avoir régné chez les Kalmouks à l’époque même où régnaient les successeurs immédiats de Tchingis-Khan. Elle seule peut expliquer, comme elle les a rendues possibles, les pérégrinations de quelques moines du XIIIe siècle. On sait que Rubruquis et Carpini entre autres pénétrèrent jusque dans les cours mongoles, qu’ils y furent bien accueillis, mais ne parvinrent à exciter qu’une curiosité semblable à celle qu’auraient fait naître des baladins et des jongleurs. On les promenait couverts de leurs habits sacerdotaux, on leur enjoignait de déployer toute la pompe de leurs cérémonies, d’entonner les hymnes sacrés, puis on les renvoyait. On les traitait d’ailleurs sans façon, et Rubruquis raconte naïvement comment un jour qu’il expliquait à Mangou-Khan les vérités de la religion chrétienne, il se vit interrompu dans sa harangue par les ronflemens sonores du prince. Cette tolérance dédaigneuse contraste étrangement avec le fanatisme farouche inspiré par les doctrines de Mahomet, avec le zèle trop souvent cruel qui régnait alors chez les populations chrétiennes. Certes, si un sectaire étranger se fût ainsi présenté chez un prince catholique, il est peu probable qu’on se fût contenté de le trouver ennuyeux ou divertissant, témoin les nestoriens, qui, à cette même époque, étaient contraints, pour fuir le glaive de l’orthodoxie, de se réfugier dans ces villes lointaines, où le pieux Rubruquis les trouva, à son très grand scandale, suivant tranquillement leurs doctrines à l’abri de l’indifférentisme des princes mongols.