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On doit distinguer soigneusement des peuples dont nous venons de parler les Kirghiz, qui habitent les steppes étendues au pied de l’Altaï, au sud-ouest de ces montagnes. Ces derniers, résultant du mélange de la race turque avec quelques rameaux indo-germaniques, sont bien supérieurs aux Kalmouks. En revanche, ils sont aussi turbulens et enclins au brigandage que leurs voisins sont doux et inoffensifs. Aussi, pour maintenir la sécurité dans ces steppes que leur position désigne comme la grande voie commerciale entre la Chine et la Russie, cette dernière puissance s’est vue obligée de multiplier les établissemens militaires et les piquets de Cosaques. Ces établissemens ont déjà amené un résultat utile et d’un heureux augure pour l’avenir de ces contrées. Frappées des avantages et du bien-être que la civilisation entraîne après elle, les populations nomades commencent à se grouper autour des villages cosaques, et déjà quelques familles ont échangé leurs yourtes ambulantes pour des maisons immobiles, mais plus comfortables.

Parmi les qualités qui distinguent éminemment les Kirghiz, il faut compter surtout le développement extraordinaire du sens de l’ouïe et de celui de la vue. M. Ivanine, officier très instruit qui a vécu longtemps parmi eux, assure avoir vu des Kirghiz qui, à plus d’un kilomètre de distance, découvraient un homme caché en embuscade. Les Cosaques, chez qui les sens dont nous parlons sont aussi très exercés, prétendent que les Kirghiz voient la nuit aussi bien que le jour. Cependant ils paraissent être inférieurs sous ce rapport aux Yakoutes, peuples qui ont probablement la même origine et qui habitent les parages inférieurs de la Léna. L’amiral Wrangel, dans son Voyage le long des côtes septentrionales de la Sibérie, cite à ce sujet un fait presque incroyable. Un jeune Yakoute lui assura avoir observé dans le ciel une grande étoile de couleur bleuâtre qui en dévora successivement plusieurs autres de moindre dimension et les rendit ensuite. En comparant les époques, le savant voyageur acquit la conviction que cet homme avait bien réellement observé les éclipses des satellites de Jupiter.

Un trait de mœurs commun aux diverses peuplades dont nous parlons consiste en ce qu’elles ignorent toutes l’usage du café. Cette boisson, considérée chez les populations arabes et persanes comme étant presque indispensable à l’existence, est remplacée chez les peuples d’origine mongole par le thé ; mais ce que les habitans des monts Altaï ou des steppes de la Sibérie désignent sous ce nom ne ressemble guère au liquide parfumé que nous avons emprunté aux