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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/267

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pourrait gêner son développement ! Quelle différence surtout entre la Russie se constituant le gardien des droits de ces tribus errantes, les protégeant contre ses propres sujets, contre ces colons envoyés par elle pour peupler ces solitudes lointaines, et les États-Unis brisant les sociétés établies, violant les traités librement consentis de part et d’autre, rejetant dans les forêts les Peaux-Rouges échappés déjà à la vie sauvage, puis traquant à la carabine comme autant de bêtes fauves ces hommes dont ils ont coupé les arbres et brûlé les maisons !

A côté des populations asiatiques dont nous venons de parler vivent et se développent peu à peu un nombre assez considérable de colonies européennes. Diverses d’origine, elles diffèrent aussi par leurs mœurs et présentent, sous ce rapport, des contrastes frappans. Le riche orpailleur que le désir de faire fortune retient dans ces contrées lointaines rêve sans doute parfois avec délices au temps où il pourra jouir de ses trésors au sein d’une société qui lui prodiguera tous les raffinemens du luxe. En attendant, ses plaisirs sont bornés. Presque toujours dénué d’éducation intellectuelle, il ne connaît que la bonne chère pour occuper ses loisirs, il s’y livre donc tout entier, et dans ce but il met à contribution les contrées les plus lointaines. Aux venaisons, au gibier de ses forêts, aux pâtés de Strasbourg, succèdent sur sa table, splendidement servie, les fruits de l’Europe tempérée, les oranges de Messine et du Portugal, arrivées sur les rives du Yeniseï en passant par Saint-Pétersbourg. Les meilleurs vins de Bordeaux et de Malaga, le champagne acheté à des prix énormes, pétillent dans les riches verres de la Bohème, tandis qu’un Kalmouk, coiffé de son bonnet de feutre, présente aux convives rassasiés le plus pur café de l’Arabie fumant dans la porcelaine du Japon, et qu’accompagnent les cigares parfumés de Manille ou de la Havane.

Les simples ouvriers suivent l’exemple de leurs maîtres. Presque tous nés dans la misère, ils dépensent follement le salaire élevé qu’ils touchent sans grande fatigue. Chaque année, les tavernes et les lieux de débauche engloutissent des sommes considérables, qui, sagement employées, eussent porté la richesse dans les familles et accru l’aisance générale de la population. Jusqu’à ce jour, l’industrie des lavages a servi seulement à créer des fortunes individuelles : elle n’a presque rien fait pour la prospérité générale. Elle contribue à entretenir, à accroître encore la dépravation des ouvriers qui s’y livrent, et qui presque tous appartiennent à la classe des exilés pour crimes ou délits. Ces tristes résultats d’une industrie si propre, en apparence, à