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chanson, il faut prendre aussitôt celle du Réformé content de l’être (1814), dont le refrain est d’un effet tout contraire au précédent, et dont l’air également va en sens inverse du trait final :

Tout va bien (bis),
Grace au ciel, je n’ai plus rien,
Je n’ai plus rien, je n’ai plus rien.

De toutes les chansons de Desaugiers, s’il m’était permis de préférer et de dire celle qui me semble peut-être la plus complète littérairement (littérairement ! mot sobre et profane, mot académique dont je ne saurais assez demander pardon en telle matière !), je nommerais la Treille de sincérité (1814). Composition, détail, expression et facture, elle me paraît tout réunir au point de perfection et à ce degré d’art dans le naturel qui, en chaque genre et même en chanson, constitue le chef-d’œuvre.

J’ai indiqué à dessein, chemin faisant, les dates de presque toutes les pièces que j’ai citées ; on aura pu remarquer qu’elles sont toutes d’avant 1815 ; non pas que Desaugiers n’ait fait de charmans couplets depuis ; mais ce que je tiens à bien montrer, c’est qu’il est proprement le chansonnier de l’Empire, celui d’avant 1815 en effet. A dater de ce moment et sous la restauration, cette veine purement épicurienne et rieuse ne suffit plus à la France ; on a vu de près d’affreux désastres, on a subi des affronts ; l’inquiétude est partout qui gagne à. l’intérieur et se prolonge dans l’avenir. Si l’on chante encore, il faut que la chanson soit modifiée, soit enhardie et armée comme en guerre. La muse inoffensive, insouciante, du Vaudeville et du Caveau, ne répond plus assez à la disposition publique et ne saurait l’exprimer pleinement. Il y a une jolie boutade de Desaugiers dont voici le premier couplet :

Chien et chat,
Chien et chat,
Voilà le monde
A la ronde ;
Chaque état,
Chaque état
N’offre, hélas ! que chien et chat.


Et il énumère toutes les zizanies d’alentour, classiques et romantiques, grétristes et rossinistes, Grecs et Turcs ; à propos de ces deux peuples alors aux prises, il disait :