Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire, touche ce fleuve comme le canal et au même point, d’où il suit qu’il peut lui disputer encore l’unique débouché dont il jouit.

Si l’on considère attentivement cette position du chemin de fer de Saint-Étienne, on trouvera peut-être qu’elle est sans égale dans le monde. De la crête élevée qu’il occupe, il commande et relie entre elles nos principales voies de communication vers le nord et le midi. Traversant un bassin houiller d’une grande richesse, au centre d’un grand pays qu’on peut dire généralement affamé de houille, il tient pour ainsi dire à son service, pour distribuer ce produit sur la surface du territoire, tous nos beaux fleuves, la Garonne exceptée, et tous nos principaux canaux. A l’est, il répand ses produits jusqu’à la rencontre des houilles prussiennes de Sarrebruck, qui paient un droit à la frontière, et pour lesquelles il n’existe jusqu’ici d’autre moyen de transport que le charroi. Au nord, son débouché n’est limité que par la concurrence des charbons de Mons et de Valenciennes ; à l’ouest, malgré quelques concurrences locales, sa circulation n’est vraiment bornée que par la concurrence des charbons anglais, qui approvisionnent nos ports ; enfin, au midi, il tient à son service le Rhône, qui porte ses produits jusqu’à la mer : position vraiment unique, à laquelle on ne peut pas même comparer celle des chemins de fer ou des canaux qui portent les riches produits des houillères anglaises à l’Océan pour les répandre de là sur les deux mondes !

Dans cette position, le chemin de fer de Saint-Étienne met en circulation environ 650,000 tonnes par an[1]. Pour un chemin de fer c’est énorme, et on a remarqué avec raison qu’il n’y en a pas un seul en Europe qui soit autant chargé. Relativement à la situation, c’est excessivement peu. Aussi croyons-nous que l’on a fait une grande faute en établissant là, au lieu d’un bon canal qui eût suffi à l’immense circulation que la position prescrit, un chemin de fer qui déjà faiblit sous le poids de sa tâche et ne la remplira jamais qu’à demi.

Quoi qu’il en soit, on voit qu’ici la position commande pour ainsi dire une circulation considérable, tandis que celle du canal de Givors est nécessairement plus bornée, puisqu’elle n’affecte qu’une seule des branches que le chemin de fer exploite[2]. Dès-lors il y a une inégalité

  1. 330,223 tonnes pendant le deuxième trimestre de 1844. (Compte rendu du 20 décembre 1844.)
  2. En comparant ces situations si différentes, on a quelque peine à comprendre l’étrange conception du canal de Givors. Les anciens disaient, en parlant de la bille qui s’appelle aujourd’hui Scutari, que c’était la ville des aveugles, parce que ceux qui la fondèrent, étant arrivés sur les rives du Bosphore, et ayant devant eux l’admirable position où s’élève Constantinople, ne la virent pas, ou la négligèrent, pour aller s’établir, à peu de distance de là, sur un rivage perdu. On pourrait en dire autant de ceux qui entreprirent le canal de Givors. Ils avaient sous les yeux la plus belle position du monde, et se placèrent à côté dans un cul-de-sac. Il est juste de dire pourtant qu’à l’époque où le canal de Givors fut construit, la position n’était pas ce qu’elle est devenue dans la suite, parce que les communications vers l’est, le nord et l’ouest n’étaient pas encore bien établies.