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plus d’ombrage au pape et à la milice qu’il avait en France dans le corps des jésuites qu’à l’église gallicane. Toutefois je ne retire pas ce que j’en ai dit quant à la langue, qu’ils auraient desséchée par l’aridité de leur logique. On les comparait aux calvinistes, les plus secs des réformateurs, à cause d’une certaine conformité entre leur doctrine de la grace et la prédestination de Calvin. La comparaison, dont ils se défendaient par tant de tours de souplesse, n’était vraie que de leur méthode de composition, de leur tour d’esprit, de leur langue, trop souvent correcte et triste comme celle de Calvin.

Quant aux quiétistes, qui ne voit tout le mal que leur victoire eût fait à l’esprit national et à la langue ? Aussi ne peut-on trop glorifier Bossuet d’avoir écrasé cette secte dans sa querelle mémorable avec Fénelon, de même qu’on ne peut trop s’étonner que ce dernier, un si beau génie, et dans ses autres ouvrages un esprit si français, ait abondé dans des subtilités si antipathiques au génie de son pays.

De tous les dogmes du catholicisme, le plus populaire peut-être, c’est le dogme de l’amour de Dieu, aimé comme auteur du salut éternel : dogme admirable, d’où naît l’activité chrétienne, avec tous ses effets, les bonnes œuvres, la prière, et généralement tous les actes qui sont accomplis en vue de cette récompense. Le christianisme en avait trouvé le principe au fond du cœur humain, où il n’y a peut-être pas d’amour absolument sans intérêt, ni de sacrifice sans quelque espoir de récompense, et il l’avait réglé, pour le plus grand nombre des hommes, par des actes et des formules que la plus antique tradition avait consacrés.

Cependant, pour faire la part de quelques esprits plus relevés et plus excellens, les héros du christianisme, l’église catholique, par l’organe de ses chefs et de ses docteurs, avait autorisé ou toléré un certain amour de Dieu moins étroitement lié à l’idée du salut éternel, et une certaine prière dans laquelle le fidèle ne faisait aucune demande et ne rappelait formellement aucune des promesses divines. Cette doctrine fort délicate était, en quelque sorte, facultative. Ceux qui la professaient pour la spéculation, et qui d’ailleurs pratiquaient tous les devoirs qui découlent du dogme de l’amour de Dieu, entendu dans le sens populaire, s’appelaient les mystiques. L’église y avait même pris quelques-uns de ses saints.

Le quiétisme, condamné en 1685 dans la personne de Molinos, n’avait été que l’exagération, poussée jusqu’à l’absurde, de l’amour désintéressé des mystiques. Il excluait l’activité à cause de ses motifs intéressés, et la prière comme impliquant la demande et l’espérance.