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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/313

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préférence aux écrits des saints solitaires. Leur génie subtil ouvrait : à son esprit des horizons infinis, et leur vertu même devenait un piège pour son jugement, en lui ôtant la crainte de s’égarer sur de si saintes traces. Ses études profanes marquaient le même goût. A la différence de Bossuet, qui est plus latin que grec, Fénelon est plus grec que latin. Et parmi les auteurs grecs, il goûtait surtout Platon, dans les écrits duquel il n’est pas malaisé de trouver tous les excès des opinions, idéalistes, et même le quiétisme, que Bayle y a découvert presque sans paradoxe.


II.

C’est dans cette disposition d’esprit qu’étant précepteur du duc de Bourgogne, il rencontra la fameuse Mme Guyon. Cette dame avait de la beauté, beaucoup d’esprit, et ce tour de piété que Fénelon admirait dans les mystiques ; elle le charma. Une amitié d’autant plus dangereuse, qu’elle était plus pure, donna à ce commerce de spiritualité toute la douceur et toute la force d’un commerce de cœur, et entraîna : peu à peu Fénelon à se faire le champion de Mme Guyon.

Toute cette histoire est bien connue. Mme Guyon avait consenti d’abord à remettre tous ses papiers entre les mains de Bossuet, et avait reçu de lui, avec l’absolution, la permission de communier. Tout à coup elle sort de nouveau de sa retraite et recommence ses étranges nouveautés de la grace dont la plénitude était telle, qu’il fallait, selon ses paroles, la délacer pour l’empêcher d’en crever, et de cet état passif « où Jésus-Christ même est un dernier obstacle à la perfection d’un cœur qui reçoit Dieu immédiatement, dans le vide de toute affection, de toute crainte, de toute espérance, de toute pensée quelconque. » C’est cet état que décrit un poète du temps dans ce portrait fort piquant de Mme Guyon :

Ce modèle parfait, ce Paraclet nouveau
Donne du pur amour un spectacle bien beau,
Quand tout d’un coup, sentant un gonflement de grace,
Elle crève en sa peau, si l’on ne la délace.
La grace de dedans passant jusqu’au dehors,
Du bassin de l’esprit regorge dans le corps.
Elle en déchirerait jusqu’à son corps de jupe,
Si dans le même instant quelque dévote dupe
Ne faisait prendre l’air à cet amour sacré.
Mais du lacet enfin se voyant délivré,