Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il se répand au cœur de toute l’assistance,
Et chacun le reçoit dans un profond silence[1]

Dans un siècle où les schismes religieux étaient des crimes d’état, on ne s’étonne pas que l’auteur de telles illusions fût enfermé à la Bastille, et qu’on ordonnât une recherche de toutes les personnes suspectes de les professer. Mme de Maintenon, qui, d’abord, avait goûté Mme Guyon, à cause de son esprit et de la pureté de ses mœurs, la sacrifia, non pas comme on l’a dit, aux ombrages de Louis XIV, lequel ne sut l’affaire que fort tard, mais à ses propres scrupules religieux, éveillés et commandés par ceux de Bossuet.

La conduite que tint Fénelon est moins connue. Sa bonne foi, les graces de ses ouvrages, l’espèce de séduction que sa vertu, son exil, une opposition au moins secrète au gouvernement de Louis XIV, ont exercée sur la postérité, tout a concouru à jeter sur cette affaire une obscurité qui lui a tourné à faveur. La vérité éclaircie ne rend pas Fénelon coupable, mais elle absout Bossuet.

Il y eut d’abord de fréquens entretiens entre Bossuet, averti par la rumeur publique des progrès de la nouvelle spiritualité, et Fénelon, qui ne cachait ni son goût pour ces doctrines, ni son amitié pour celle qui les professait. Les explications furent pendant long-temps sincères et amicales. Bossuet n’avait pas de peine à pénétrer un homme qui ne cherchait pas à se dérober. Loin d’ailleurs de l’aigrir, l’obstination de Fénelon ne fit d’abord que l’inquiéter pour lui-même. Il se tâtait, dit-il, en tremblant, craignant à chaque pas des chutes après celles d’un esprit si lumineux[2]. A mesure que les entretiens, en serrant de plus près les choses, prirent le caractère de conférences, il devint de plus en plus difficile de se mettre d’accord. Fénelon éludait tout, atténuait tout. Les énormités même de Mme Guyon ne l’embarrassaient pas ; elles venaient, selon lui, ou d’ignorance et d’innocence, ou du défaut de précision, ou de ce qu’on les entendait dans un autre sens que leur auteur. Rien n’était à admettre ni à rejeter tout-à-fait. Il fallait, répétait-il sans cesse, examiner, éprouver les esprits, selon le précepte de saint Paul. Où Bossuet voulait décider, Fénelon ne voulait qu’expliquer.

Plusieurs mois se passèrent ainsi. Enfin Mme Guyon demanda et obtint que ses écrits fussent examinés par Bossuet, par l’évêque de

  1. Extrait d’une épître satirique en réponse à une lettre apologétique de l’abbé de Chanterac, vicaire-général et ami de l’archevêque de Cambrai.
  2. Relation du Quiétisme.