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Un préjugé fâcheux pour le pur amour, c’est qu’il avait pour partisans les ennemis de Pascal, les jésuites, ceux dont l’influence avait fait effacer du livre des Hommes illustres contemporains, de Perrault, les vies et les images d’Arnauld et de l’auteur des Provinciales, ceux qui, par dépit contre Racine, dont l’archevêque de Paris empruntait la plume pour réfuter Fénelon, donnaient pour sujet de thèse à leurs écoliers : Racinius an est poeta ? an est christianus[1] ? ceux dont Bossuet disait, même dans le fort de la dispute : « Leur crédit n’est pas si grand que leur intrigue. » Il ne faut rien exagérer, ni rendre la pureté de Fénelon responsable des excès stigmatisés dans les Lettres provinciales ; mais c’était une mauvaise circonstance que d’être soutenu par une secte qui avait toujours subordonné la vérité de la doctrine à l’intérêt du corps, et qui favorisait toutes les imaginations du sens propre à cause de la prise qu’elle avait par là sur tous ceux qui s’y abandonnaient, croyant se rendre plus indépendans[2].

Ce fut un autre tort de la doctrine du pur amour d’avoir pour champion le fameux protecteur de Pradon contre Racine, le duc de Nevers, lequel avait loué les deux théâtres où se donnaient les deux Phèdre, afin de remplir celui où se jouait la pièce de Pradon, et tenir vide celui où se jouait la Phèdre de Racine. Le duc de Nevers défendit les Maximes des Saints dans des vers aussi secs que les doctrines de ce livre et aussi prosaïques que ceux de son protégé Pradon. Voltaire trouve néanmoins à louer de ce duc un portrait satirique de l’abbé de Rancé, qui n’est que médiocre. A la vérité, c’étaient des vers de grand seigneur, et il y était mal parlé d’un moine ; double mérite aux yeux de Voltaire.

Fénelon avait en outre l’appui du fameux Le Tellier, qui laissa voir son inclination jusqu’à entraver la publication du livre de Bossuet sur les États d’oraison. Cet appui était d’ailleurs secret. Sauf ce père, personne de marque dans l’église ne s’engagea ouvertement dans la cause du pur amour, et Bossuet avait le droit de dire, dans sa Relation : « L’épiscopat n’a pas été entamé, et M. l’archevêque de Cambrai ne peut citer pour son sentiment aucun docteur qui ait un nom. » Au contraire, de grands noms dans l’église et dans les lettres vinrent en aide à Bossuet et à ses deux collaborateurs. L’abbé de Rancé, Nicole, Racine, prirent la plume contre le pur amour. Nicole, qui retrouvait

  1. Racine est-il un poète ? Racine est-il chrétien
  2. « Les pères jésuites, dit l’abbé de Chanterac, jugent bien autrement le livre des Maximes ; ils l’approuvent, ils le louent, ils le défendent, etc. » (Correspondance de Fénelon).