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parce qu’il y aurait moins gagné qu’à rester vrai, comme s’il eût plus craint de passer pour maladroit que pour menteur. C’est lui d’ailleurs qui prodigue à son adversaire la déférence et l’admiration, ici par légèreté de plume et sans à-propos[1], ailleurs par calcul, et pour rendre plus dangereux des coups portés d’une main plus respectueuse.

Je reconnais là les formes qu’affecte le sens propre, et je les note dans Fénelon, parce qu’elles sont communes à toutes les opinions particulières. Il en est d’autres encore plus caractéristiques : ce sont les protestations de docilité, de soumission absolue. Son esprit en varie les tours à l’infini : offres de tout quitter, prières pour qu’on ne le ménage point, et qu’on se dispense avec lui des respects humains, humbles instances pour qu’il y ait décision ; c’est trop peu, sommation qu’on en finisse avec lui, promesse de se taire, de s’aller cacher et de faire pénitence, déclarations réitérées d’humilité et de petitesse : « Réglez-moi tout ce que vous voudrez ; j’aime autant me rétracter aujourd’hui que demain ; traitez-moi comme un petit écolier, etc. » Mais voyez au fond de toutes ces demandes de prompte décision : ce sont autant de défis portés à ses juges de rien décider. D’autant plus qu’il ajoute : « Qu’on me fasse voir clair ; qu’on précise, qu’on marque les termes ; » comme s’il n’avait pas d’avance mille échappatoires pour se dérober aux décisions.

Encore un trait du sens propre : c’est d’atténuer le refus de ce qui vous est demandé en offrant mille fois davantage. Fénelon est-il invité à faire le sacrifice de quelque vaine proposition dans un ordre de vérités qu’il juge lui-même n’être pas utile à tout le monde, il offre d’aller au martyre où personne ne songe à l’envoyer. Après la rétractation de Mme Guyon et l’absolution de Bossuet, qui la déclarait innocente, on priait Fénelon de condamner, pour l’abus qui pouvait en être fait, certaines maximes de cette dame. Ce blâme ne touchait plus son amie, puisqu’elle s’était rétractée ; on le lui demandait non contre elle, car elle était réconciliée, mais dans l’intérêt de ceux qui pouvaient s’y méprendre. Qu’offrait-il ? De brûler Mme Guyon de sa propre main et de se brûler lui-même ; ce qui faisait dire à Bossuet : « Il n’y a rien à brûler ici. » On sourit de ces expressions, qui lui partent un peu trop fréquemment pour que la sincérité n’en perde pas de son prix :

  1. Il résulte d’une lettre de Fénelon à Bossuet que celui-ci l’avait prié de lui épargner les louanges. Cette lettre se termine ainsi : « À cause que vous avez défendu à mes lettres tout compliment. »