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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/336

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est bizarre, le style fatigant, la phraséologie épaisse, et il n’y a que la princesse elle-même, dont le respect pour la vérité ait pu gâter à plaisir la tragédie domestique dont elle était l’héroïne. Reproduisant les conversations des personnages avec qui elle a entretenu des rapports, elle ne fait pas grace d’une révérence, ou d’un domestique apportant une lettre sur un plateau ; vous diriez ces images dont le soleil est le peintre fidèle, et c’est le plus triste peintre et le plus lugubre dont on puisse s’aviser ; la princesse est peintre à la manière du soleil. Elle n’a donc fait ni un bon drame ni un bon roman, et la pauvre femme a mal traité sa propre vie. Elle s’enfonce dans les mots ; l’étiquette allemande règne dans le livre, au point de nous dérober les émotions dont il est rempli, et même les idées quand il y a des idées. Les caractères des personnages n’apparaissent pas avec netteté au milieu de cette pâte verbeuse et sous les draperies d’une cour cérémonieuse et brutale.

Avant la publication de ces documens sans art, qui prouvent l’innocence de la princesse et ne prouvent pas son talent, on savait d’une manière confuse l’histoire de cette épouse de George Ier, accusée par lui d’une intrigue amoureuse avec le beau Kœnigsmark, que l’on fit disparaître ; les romanciers avaient brodé de leur mieux une étoffe si riche et si vague. Les historiens ne s’accordaient pas sur les motifs et sur les détails de l’anecdote, et Walpole lui-même, auquel les particularités de la cour n’échappaient guère, n’avait pu soulever les voiles dont cette lugubre aventure s’était enveloppée. L’archidiacre Coxe, dans ses mémoires sur Robert Walpole, avait contredit les assertions de son prédécesseur, et les derniers historiens de la maison d’Hanovre, lord Mahon et M. Jesse, avaient jeté dans cette obscurité des conjectures qui ne faisaient que l’accroître.

Aujourd’hui l’auto-biographie de Sophie-Dorothée vient de paraître à Londres, escortée de renseignemens accessoires et inédits fournis par les archives de Vienne, de Berlin, du duché de Brunswick et du duché de Zelle. Au manuscrit de la princesse, qui porte pour premier titre Précis de mon Destin et de ma Prison, viennent se joindre la confession d’une mourante, la comtesse Platen, qui joua dans ce drame un rôle sanglant et ignoré, celle d’un assassin salarié, dont le même ecclésiastique reçut les aveux[1], une correspondance volumineuse et une narration détaillée, écrite en allemand par la confidente

  1. Leichen-predigt auf C. E. Groein von Platen, mit den personalien.