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et la dame d’honneur de Sophie[1], Mlle de Knesebeck, qui partagea sa captivité. Sous le rapport du style, il n’y a rien à dire de cet ouvrage, dont la première partie contient le récit embrouillée et emphatique des aventures de Sophie. Appliquons à ce fragment d’histoire une sévérité plus critique, et suivons de près les documens auxquels le second volume est consacré, documens précieux pour les annales du XVIIIe siècle et celles de la civilisation moderne en Allemagne et en Angleterre.

Entre 1650 et 1750, l’ascendant de Louis XIV ne se fit pas sentir seulement en France et en Espagne ; cette prépondérance politique, chèrement acquise, chèrement payée, domina le nord de l’Europe, qui résistait à notre puissance en cédant à l’impulsion de nos mœurs. Maîtres du mouvement général, chefs de la civilisation européenne, nous commencions l’éducation sociale de la Russie, de la Prusse, de la Suède, et même, sous certains rapports d’élégance, de la Grande-Bretagne. On nous imitait mal, comme il arrive toujours, et cette inoculation imparfaite produisait des effets aussi étranges que ceux qui, entre 1520 et 1600, avaient suivi la parodie des mœurs italiennes, importée en France par François Ier et Louis XII. On connaît ce mélange de rudesse et de volupté, de barbarie et de licence, de grace efféminée et de violence qui marque l’époque des Valois, vivement reproduite par la naïve corruption de Brantôme. Quelque chose de semblable se manifesta dans les petites cours d’Allemagne, et même dans le palais britannique de Whitehall, lorsque, séduits par l’exemple du maître oriental de la France, les princes du Nord voulurent à leur tour essayer des fêtes et des maîtresses, danser dans les ballets, jouer des pastorales, récompenser des poètes, et marcher dans cette voie de monarchie éclatante que Louis XIV avait ouverte. L’étiquette germanique conserva sa lourdeur ; le respect héréditaire de l’autorité y gagna peu, et la vertu encore moins ; au lieu de faire naître les arts, on fit éclore des vices grossiers, qui de temps en temps s’égayaient de crimes. Il fallut cinquante années encore pour que la cour de Saxe-Weimar, dont ce fut l’honneur et la gloire, épurât ce mélange hétérogène de vieilles mœurs et de culture nouvelle, et greffât sur les traditions patriarcales du pays l’habitude d’une élégance noble et les savantes délicatesses des arts. En dépit des réprimandes réitérées du

  1. Nachrichten von der chemaligen Chur-Prinzessin Sophie-Dorothea von Hannover, sogenannten Prinzessin von Ahlden, Gemahlin des Chur-Prinzen Georg Ludwig, nachherigen kœnig Georg I von Grossbritannien. Beschrieben von der Hofdame der Chur-Prinzessin dem Fraeulein von dem Knesebeck.