Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cabinet de Vienne, que ce penchant général effrayait, ces petites cours, débris d’une féodalité énervée, s’épuisaient en puériles rivalités, en folles débauches, en intrigues machiavéliques et en fêtes ruineuses, qui ne corrigeaient pas la rudesse fondamentale des mœurs. Quand on lit les Lettres de la Princesse palatine, mère du régent, les Mémoires de la Margravine de Bayreuth, sœur de Frédéric-le-Grand, petite-fille de cette même Sophie-Dorothée qui va nous occuper, la Saxe Galante du baron de Poellnitz, et la Vie d’Aurore de Koenigsmark par Kramer, on croit entrer dans des cavernes fantastiques peuplées de faunes, de nymphes, de satyres lascifs, et de graves conseillers auliques.

Il y a cependant des nuances et des degrés dans cette imitation générale de Louis XIV. Ceux-ci lui prennent sa pompe militaire, ceux-là sa dévotion régulière, presque tous sa galanterie espagnole. L’électeur de Saxe, Frédéric-Auguste, dépense quinze millions de thalers ou cent millions sterling pour ses maîtresses, qui lui donnent cinquante-trois bâtards. Quand son fils épousa la fille de Joseph Ier, empereur d’Autriche, « il fit armer, dit un grave historien allemand, un vaisseau magnifique nommé le Bucentaure, qui descendit l’Elbe avec son équipage en satin jaune et en bas de soie blancs, escorté de cent gondoles illuminées et de quinze petites frégates de six canons. Dix-neuf cents gentilshommes, six régimens d’infanterie, trois de cavalerie, et onze cents gardes royaux, commandés par le baron de Mordar, maître des postes, qui sonnait d’une trompe de chasse en or enrichie de pierreries, accompagnaient l’électeur, couvert de diamans qui valaient deux millions de thalers. Il reçut la fiancée à Pirna. Cent six carrosses à six chevaux firent à Dresde leur entrée triomphale, et les fêtes durèrent un mois entier, pendant lequel l’électeur et sa cour se partagèrent les rôles des divinités grecques, sans les quitter un moment ; l’Olympe était au complet, depuis Vénus et Apollon jusqu’aux hamadryades. Un peu plus tard, il donna dans son camp, près de Mühlberg, un dîner dont les convives étaient quarante-sept rois et princes, et qui dura trente jours ; du moins les tables restèrent-elles toujours dressées ; on y servit un gâteau de vingt-huit pieds de long, de douze pieds de large, de trois pieds de haut, et que le grand panetier, armé d’une hache d’or et déguisé en charpentier, découpa solennellement après une promenade à travers le camp. » Ces puérilités, peut-être exagérées par l’histoire, prouvent du moins l’ardeur de la contagion que nous avons signalée. Les jardins de Versailles se reproduisaient à Munich et à Dresde, comme à Prague et à Londres,