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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/339

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avec l’exagération des parodies ; ce n’étaient plus seulement des buis taillés en quinconce, mais des forêts taillées en pièces d’échiquier, des sapins du Nord transformés en vases antiques, et des ifs tour à tour métamorphosés en pyramides et en perruques. Plus une cour était petite, plus elle cherchait à se signaler ainsi ; la cour de Vienne restait seule fidèle aux vieilles mœurs, et conservait ainsi sa prépondérance ; la grande Marie-Thérèse, apprenant pendant le spectacle que sa bru venait d’accoucher d’un fils, se leva tout à coup de sa loge et charma le peuple, en lui disant dans le patois de Vienne : « Mes enfans, le fils Léopold a ein fieu ! »

Dans ces mœurs étranges et bariolées, grossièreté brodée de libertinage, les évêques et leurs cours occupaient une des belles places. Il y avait des localités, telles qu’Osnabrück, dont l’évêque était alternativement un protestant et un catholique, et où le palais épiscopal se remplissait de chiens, de faucons, de joueurs, de buveurs, de danseurs, de femmes galantes et d’enfans de tous les ordres que l’évêque reconnaissait pour être à lui ; Goethe, dans son drame de Goetz de Berlichingen, a touché un petit coin de ce singulier tableau. S’il y avait des évêques Sardanapale, il y avait aussi des évêques Alexandre et Jules César, par exemple ce prince de Munster, Van Ghalen, dont l’accoutrement étonna le spirituel William Temple, quand ce dernier le rencontra « emporté dans son carrosse par six chevaux fougueux, et escorté de cent heydukes qui l’accompagnaient au grand galop. Il fallait voir ces Hongrois au costume bizarre, à la veste courte, au bonnet noir, avec leur petite hache d’armes, leur espingole en bandoulière et leur cimeterre recourbé, lancer leurs chevaux ventre à terre, faire feu sans quitter la selle, et se livrer devant leur prince à tous les exercices orientaux du djerid. Cet évêque, qui habitait une forteresse imprenable et vivait en seigneur féodal du moyen-âge, m’a fait l’honneur de m’apprendre à boire d’une façon vraiment épiscopale. Une cloche d’argent de grande dimension, dont on enlevait le battant quand il s’agissait de la remplir de vin, servait à cet exploit, qui m’étonna d’abord. La rasade était inévitable ; on renversait la cloche pour prouver que l’exploit était accompli[1]. » Nous verrons l’évêque d’Osnabrück offrir à côté de ce prélat guerrier le personnage non moins bizarre d’un prélat libertin.

D’autres princes, par exemple Antoine de Wolfenbüttel, ne se distinguaient que par la grace et la gravité de leurs mœurs ; d’autres se

  1. Life of W. Temple, t. I, p. 62.