Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modelaient sur les goûts littéraires et élégans de Louis XIV. Quelques-uns passaient leur jeunesse à courir l’Europe, surtout l’Italie, d’où ils ramenaient dans leur principauté un commencement de famille improvisée, quelquefois un sérail importé de Venise. Ajoutez à ces élémens dramatiques et discordans les rivalités, les haines, les passions violentes et contraintes, les intrigues à propos d’un titre, les ardeurs de préséance entre ces petites cours, les conspirations pour obtenir un lambeau de territoire et monter d’un degré dans l’échelle hiérarchique, les guerres livrées pour conquérir trois lieues, les fêtes qui, données dans un parc, dévoraient le revenu d’une année, la manie de bâtir et de dessiner des jardins, enfin la mythologie poétique de l’antiquité, qui brochait sur le tout et régnait avec une langue française, gâtée par nos réfugiés protestans ; — on verra quel singulier monde ce devait être que ce monde germanique où Leihnitz rêvait sa théodicée, et dont les fragmens inconciliables cherchaient inutilement leur harmonie et leur unité.

Les réfugiés français, que Louis XIV avait chassés avec une si folle imprudence, occupaient dans le Nord une situation qui n’a pas été assez remarquée. L’aïeul de Benjamin Constant, M. de Rebecque, montait le même vaisseau qui portait Guillaume III à la conquête du trône catholique de Jacques II. Les Ancillon entraient dans les conseils de l’électorat de Brandebourg ; des Françaises étaient partout chargées de l’éducation des jeunes altesses ; Frédéric-le-Grand et Catherine de Russie furent élevés par des Français. Ils répandaient à la fois dans le Nord l’horreur du grand roi et l’imitation de nos mœurs ; de là ce double mouvement qui rattachait les cours du Nord à la France par l’imitation et les opposait à la France par la haine. Quelquefois on voyait une fille de gentilhomme français venir s’asseoir sur un de ces petits trônes suzerains dont elle devenait maîtresse par la grace de l’élégance et de la beauté ; les jalousies indigènes s’éveillaient, et il était rare que l’on ne punît pas, de manière ou d’autre, l’audace de l’étrangère, soit sur sa personne, soit dans sa postérité.

C’est ce qu’éprouva au commencement du XVIIe siècle une Française aussi distinguée que peu connue, la fille du marquis d’Olbreuse en Poitou, qui suivait son père en exil, et qui apparaissait sous le patronage de la duchesse de Tarente et de Mlle de la Trémouille, « éclatante de jeunesse et de beauté, » disent les contemporains. Éléonore d’Olbreuse produisit une vive sensation dans les grands bals que Guillaume donnait à Bréda en 1667. Ce que la ligue du Nord avait de brillant, d’aimable et de célèbre parmi les princes d’Allemagne