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et les protestans bannis de France se réunissait dans cette petite ville de Bréda, Versailles du protestantisme, où chacun croyait trouver un terrain neutre et un asile contre ses propres doctrines. Les mascarades et les bals n’y discontinuaient pas ; loin des regards du populaire, qui les aurait condamnés sévèrement, les gentilshommes se dédommageaient, et la galanterie, que l’on reprochait à Louis XIV, y reprenait ses droits. On était là si bien en sûreté contre les prédicateurs, que la femme de Guillaume d’Orange, la protestante Marie, destinée à devenir reine d’Angleterre, écrivait à son frère Charles II « Nous jouons tous les soirs de petites comédies chez la reine de Bohème (fille de Jacques Ier), et c’est vraiment plaisir de voir les passages qui se font entre ces dames et leurs galans ; je ne trouve pas qu’elles prennent la moindre peine de cacher leurs inclinations[1]. » Si la jeune Éléonore d’Olbreuse était vêtue en bergère, en nymphe, en bohémienne ou en dryade, lorsqu’elle toucha le cœur du duc de Zelle, c’est ce que ne disent pas les lettres qui décrivent avec une exactitude de notaire les solennités de ces bals ; mais ce qui est certain, c’est que la main d’Éléonore fut sollicitée par plusieurs gentilshommes. Le duc George-Guillaume de Zelle, second fils du duc de Brunswick Lünebourg et frère aîné de l’évêque d’Osnabrück, se montra le plus empressé de ses adorateurs. Il avait quarante ans et l’expérience des passions. Une Vénitienne, Zenobia Buccolini, lui avait donné un fils, qui, sous le nom abrégé de Buccow, devint grand-écuyer de la cour de son père ; d’ailleurs ce duc de Brunswick était honnête homme, dominé par ses affections, dénué d’ambition et faible de caractère, comme le prouve l’engagement que lui avait fait contracter son frère cadet, le brillant et ambitieux évêque d’Osnabrück.

Ce prélat, troisième fils du duc George de Brunswick, après une jeunesse aventureuse et guerrière, avait épousé une Stuart, Sophie, petite-fille de Jacques Ier, arrière-petite fille de Marie Stuart, et fille de cette malheureuse et charmante reine de Bohême, Élisabeth, qui continua la longue filiation d’infortunes attachée au blason héréditaire de cette famille. On voit dans les lettres de Sophie qu’elle était savante et spirituelle, parfaitement indifférente en fait de religion, qu’elle entrait dans les vues ambitieuses de son mari, et poussait aussi loin que possible la tolérance conjugale ; les maîtresses de l’évêque étaient ses amies, et pendant que son fils George se battait

  1. Manuscrits de Lambeth. — Lettres particulières de Marie et de la reine de Bohême, fille de Jacques Ier.