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de tout droit, à l’exception de certains domaines qui leur étaient assurés. Enfin l’évêque, malgré son titre ecclésiastique, exploita vigoureusement la passion de son frère aîné pour cette irréprochable Éléonore, qui paraît avoir été d’une beauté parfaite et d’un grand esprit, et le mariage fut conclu. Elle épousa deux fois son amant, d’abord de la main gauche, sous le titre de comtesse d’Harburg, pour satisfaire les scrupules de l’évêque et remplir l’engagement écrit, ensuite de la main droite sous le titre de duchesse de Zelle. La vie de cette charmante femme, aïeule de Frédéric-le-Grand, et qui eut pour fille notre Sophie-Dorothée, fut un modèle de bon goût, de raison et de moralité.

Sa fille, dont nous avons à nous occuper ici, se trouva dès sa naissance dans une position singulière. Française par sa mère, déclarée inhabile à succéder, maîtresse d’une fortune considérable et indépendante, compensation et prix des concessions exigées par l’évêque, elle était la plus désirable héritière des principautés allemandes ; et comme on pouvait après tout lutter contre l’évêque et essayer de déchirer le contrat exigé par lui, cette position dangereuse, brillante et équivoque la donnait pour but aux ambitions rivales et l’exposait à la malveillance de son oncle, à son observation et à son inquiétude. Éléonore, duchesse de Zelle, écarta d’abord ces nuages, tant elle se montra simple, gracieuse et prévenante. Elle visitait de temps en temps la cour épiscopale, laissait l’évêque se livrer à ses déportemens sans se permettre une épigramme, et donnait ses soins à l’éducation de sa fille, sans manifester aucune prétention à des alliances qui eussent pu accroître les ombrages et les inimitiés. Sophie-Dorothée s’éleva donc sous les yeux de sa mère, adorée de son père, et devint aussi belle qu’élégante. C’était à quinze ans une personne accomplie, et qui en paraissait vingt, d’un type rare et curieux, une de ces femmes blondes aux yeux noirs, qui semblent marquées d’un sceau particulier, et qui joignent à la mobilité d’impressions naturelle à leur sexe de plus impérieux contrastes et des dissonances plus vives. Son caractère ne ressemblait point à celui de son père. Douée de beaucoup de bonté et de peu de prudence, franche jusqu’à l’impétuosité, d’une sensibilité facilement émue, entraînée par ses mouvemens et ses instincts, la plupart généreux et nobles, l’indépendance de sa situation et de sa fortune, les éloges donnés à sa beauté et l’affection de son père, l’avaient accoutumée à l’exercice d’une volonté absolue, dont il faut dire qu’elle n’abusa jamais, et qui dut redoubler pour elle le martyre de sa captivité, c’est-à-dire de sa vie. D’ailleurs, sous la loi et l’exemple de la