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accommodées de la fortune, » filles d’un comte ruiné, Carl-Philip von Meisenberg, Clara-Élisabeth, âgée de vingt-un ans, et Catherine Marie, de dix-neuf ans, belles à contenter les plus difficiles, et qui, depuis un mois, faisaient, surtout l’aînée, les délices de la cour du prélat. Elles se mirent donc à la tête des trabans, et rencontrèrent les princes à quelques portées de fusil de la forteresse, accompagnés de leurs précepteurs, M. Platen et M. Busche. Après avoir couronné de leurs blanches mains le front des héros, elles les laissèrent monter dans le carrosse de leur mère ; et pendant que M. Platen, le précepteur de George, était frappé d’une extrême admiration pour Diane, l’aînée, M. Busche, son collègue, éprouvait le même sentiment en faveur de Bellone, la cadette. La journée se termina par la représentation d’un chef-d’œuvre que l’imprimerie nous a transmis, dont les vers sont pauvres, dont le style est impur, mais qui prouve le bon vouloir de Mlles de Meisenberg ; c’est un petit opéra composé par l’aînée (en français, s’il est permis de parler ainsi), où elles posèrent, chantèrent, dansèrent, et se développèrent sous tous les aspects. Cela porte le titre de : « Pastorale pour régaler MM. les jeunes princes de Brunswick-Lünebourg à leur arrivée à Osnabrügge, par Mlles de Meisemberg[1]. » Ces demoiselles se piquaient de chant, de danse, de poésie, de coquetterie, de galanterie, et réussirent excessivement dans leur costume de Diane et Bellone, Diane surtout, c’est-à-dire Élisabeth, qui était grande et brune, aux cheveux flottans, à l’œil étincelant, aux vives couleurs, au port hardi, et dont l’évêque fut charmé.

Si Élisabeth de Meisenberg, devenue Mme Platen, puis favorite de l’évêque, et bientôt après comtesse de Platen, eût été placée dans un plus large cadre, l’histoire eût fait grand bruit de son nom ; sa gloire s’est perdue dans les crimes et les intrigues d’une petite cour ignorée. Elle méritait mieux. Mme de Maintenon, Mme de Montespan, la marquise des Ursins, et quelque chose de l’ancienne Lucrèce Borgia se réunissaient dans son personnage. Ses passions étaient ardentes, ses prétentions infinies, et ses talens pour l’intrigue, son audace, son adresse, sa cupidité, ses jalousies de femme, resserrés dans un étroit espace et forcés de bouillonner dans les limites d’une civilisation inférieure, la conduisirent à des actions odieuses et dont sa fortune et son pouvoir, assurèrent l’impunité. Le plus terrible repentir la punit, et, ce qui jette sur cette histoire une couleur étrange, son lit de mort, peu digne d’une femme du monde qui

  1. Osnabrügge, 1673, avec gravures.