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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/347

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Le conseil que donna la comtesse Platen à son noble amant dans cette circonstance fut digne de Machiavel : absorber la fortune et les domaines de Sophie-Dorothée au profit des héritiers de l’évêque, et réunir le duché de Zelle à l’électorat de Hanovre. Pour y parvenir, il suffisait que le mariage projeté entre le jeune duc de Wolfenbüttel et sa cousine fut rompu, et que cette dernière acceptât pour époux le fils de l’évêque, amant de Mme Busche, futur électeur de Hanovre, peut-être un jour roi de la Grande-Bretagne. Un instrument était nécessaire pour cela. Près du duc de Zelle se trouvait un certain Bernstorff, premier ministre, conseiller aulique, grand homme de loi, qui aimait les tabatières d’or et les présens, parlait peu, volait beaucoup, s’arrondissait incessamment du bien d’autrui, et que l’on pouvait aisément gagner. On le gagna. Les plans d’Élisabeth réussirent de point en point. Le ministre Bernstorff reçut la promesse d’un château et l’envoi d’une tabatière, détruisit le mariage qui déplaisait à l’évêque, suscita des jalousies et des ombrages entre le prince de Wolfenbüttel et son cousin, et, puissamment aidé par la savante Sophie, finit par conclure, à la satisfaction de l’évêque, le mariage du brutal George et de sa cousine, fille de Française, qui, en épousant le fils d’une Stuart, entrait dans une famille fatale. Ce furent pour elle deux malheurs, comme on va le voir.

Elle y entrait le cœur plein d’un amour vif et partagé, dont l’objet n’était pas ce Koenigsmark que les historiens présentent sous des traits romanesques et menteurs, mais Auguste de Wolfenbüttel, jeune homme de vingt ans, dont la demande avait été approuvée et encouragée par ses parens mêmes, qu’elle regardait d’avance comme son mari, et qui venait de passer six mois près de sa cousine, qui allait avoir seize ans tout à l’heure. La mère et la fille résistèrent de leur mieux à l’influence de Bernstorff et à la main cachée de la comtesse Platen et de l’évêque ; elles succombèrent devant une volonté décidée et un préjugé violent. Bernstorff avait représenté à son maître qu’il y avait trop de Français dans son armée, qu’on se plaignait de le voir céder aux conseils de sa femme, et qu’il perdait ainsi la considération qui lui était due. C’est surtout la crainte de paraître faibles qui détermine les hommes faibles ; malgré le désespoir de la duchesse et les protestations de sa fille, le mariage fut célébré le 21 novembre 1682, entre cette enfant destinée à un autre et l’un des êtres les plus dégradés de son époque, ce George de Hanovre qui fut roi.

Nous n’avons pas à nous occuper de cet homme sordide, cruel et ridicule qui épousait Sophie-Dorothée. Elle avait appris de sa mère la