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leçon que doivent apprendre la plupart des femmes, la résignation au mariage sans amour, et malgré les torts, les âpretés, les caprices, les maîtresses de son mari, auquel elle donna deux enfans en peu d’années (George, qui devint George II, roi d’Angleterre, et Sophie, qui devint mère de Frédéric-le-Grand), les premières années de son union avec le prince se passèrent convenablement. Elle allait souvent visiter sa mère, soignait ses jeunes enfans, et fondait des asiles de charité, pendant que le mari, qui aimait la poudre à canon, guerroyait contre les troupes catholiques de Louis XIV pour attester sa fidélité protestante. Quant à l’évêque, devenu électeur de Hanovre, et qui avait continué dans le palais électoral l’ancienne orgie d’Osnabrück, il trouvait une fraîcheur inattendue dans le souffle pur et la conversation candide de cette jeune mère ; l’électrice elle-même, vouée à la science, goûtait la conversation de Sophie-Dorothée, qui savait plusieurs langues. Enfin, à vingt ans, la beauté de la princesse, se développant avec éclat, rejeta dans l’ombre les autres femmes de la cour, et particulièrement la maîtresse avouée du prince. Catherine de Meisenberg n’était ni assez coquette pour stimuler des goûts blasés, ni assez forte pour briser une situation fausse ; n’ayant pour se soutenir ni la ruse de sa sœur, ni les séductions hautaines de la femme légitime, elle laissa tranquillement le prince se détacher d’elle ; un amour sans estime mourut de sa mort naturelle, qui est l’ennui. Ce n’était pas le compte de la sœur aînée.

Mme Platen, plus riche et plus accréditée que jamais, adorée de l’électeur, arbitre unique, crainte de tous, reproduisait dans un pays paisible et protestant ces grandes et terribles figures des courtisanes romaines, qui s’associaient aux papes dans les mauvais temps de la papauté, et que l’on voyait traverser la ville-reine montées sur leurs mules caparaçonnées de pourpre, précédées de vingt hallebardiers, et suivies d’un bourreau. Elle n’avait qu’une douleur : c’était de voir la jeune nièce de l’électeur, Sophie-Dorothée, briller à côté d’elle. La princesse, instruite par sa mère, avait d’abord traité cette singulière puissance avec une réserve polie et des égards mesurés ; il lui fut impossible de se maintenir long-temps sur ce terrain. Les astres rivaux ne pouvaient briller dans le même ciel ; la position respective des deux femmes devint une guerre ouverte et violente. Tous les avantages semblaient être du côté de la jeune mère, de la femme sans tache, de la princesse élégante estimée de tous ; — ce fut la courtisane et la maîtresse avide de l’évêque qui l’emporta.

Vous diriez presque la lutte de Kriemhilt et de son ennemie dans les