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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/349

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Niebelungen. Ce ne fut d’abord qu’une rivalité de femmes et de costumes, d’élégance et de beauté. La comtesse Platen se soutenait dans sa splendeur, aidée des recherches de l’opulence et des habiles soins que l’expérience fournit. La jeune femme, qui avait l’avantage de l’âge et du rang, s’entourait d’une petite cour hostile aux prétentions de la maîtresse de l’évêque. Le frère cadet du prince George, le prince Maximilien, s’y joignit ; ce fut un événement et une affaire d’état que l’espièglerie du jeune homme, lorsqu’un jour il s’avisa de faire tomber le fard dont la comtesse relevait sa pâleur en jetant quelques gouttes d’eau sur ce visage admiré. Le prince fut sévèrement réprimandé, puis banni de la cour. Cependant l’intimité domestique de la princesse, n’étant plus troublée par Catherine de Meisenberg, devenait menaçante pour la favorite, qui ouvrit la tranchée par une démarche hardie. Il y avait parmi les demoiselles d’honneur une demoiselle Melusine Ermengarde de Schulenburg, blonde d’une élégance svelte et d’une beauté délicate, aux yeux bleus candides et tendres, d’une modestie et d’une pudeur qui eussent attendri des ames même farouches, et qui touchait à ses dix-neuf ans. A travers cette gaze d’ingénuité céleste, Mme Platen avait deviné l’esprit d’intrigue et l’ambition de fortune ; ce fut le chef-d’œuvre de la stratégie féminine que de choisir cette personne et d’opposer les séductions d’une innocence timide et tremblante à cette innocence fière de l’épouse en possession de ses droits et sûre de son pouvoir. George, fidèle aux exemples paternels, s’ennuyait un peu du mariage, la supériorité de sa femme le gênait ; il mordit au premier hameçon qui lui fut offert, adopta publiquement Mlle de Schulenburg, et ne prit point la peine de cacher ses assiduités. Ses fréquentes absences, car il servait alors sous le prince d’Orange et se trouvait souvent sous les drapeaux, retardaient le résultat de ces intrigues. Dans le palais de Hanovre, les deux femmes s’insultaient froidement et sourdement. Il manquait à cette scène un acteur, qui arriva bientôt et mit en feu les élémens du drame ; c’était le jeune Philippe-Christophe, comte de Koenigsmark, dont on a diversement parlé.

Les Koenigsmark, Suédois d’origine, semblent moins appartenir à leur époque qu’à celle de Cinq-Mars et de la fronde. Ce sont de vrais aventuriers du XVIIe siècle, de ceux que le crayon de Callot a fait vivre, présomptueux, légers, satiriques, ardens, capables de tout, la race des Buckingham et des petits-maîtres, que Lauzun a continuée sous Louis XIV à ses risques et périls. Rien n’est plus vif et plus hardi que le portrait de ce jeune Koenigsmark : les yeux noirs et saillans,