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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/350

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le front spirituel et surmonté d’une forêt de cheveux noirs un peu crépus, les lèvres sensuelles, et l’ironie étincelant sur tous les traits. On reconnaît un de ces hommes auxquels se fier est difficile, près desquels s’ennuyer est impossible, et dont il ne faut être ni l’ami, ni la femme, ni la maîtresse. Riches et braves, héros d’aventures, on les avait vus partout, au siège de Malte, chez les Turcs, en Algérie ; à Madrid, où ils donnaient des combats de taureaux ; à Paris, où ils fi auraient dans les carrousels. Le frère aîné de celui dont nous voulons parler, Charles-Jean Koenigsmark, que les historiens ont confondu avec le nôtre, avait soutenu à Londres un procès criminel d’étrange espèce. Pour épouser la plus riche héritière de la Grande-Bretagne, lady Élisabeth Percy, il n’avait pas trouvé de meilleur moyen que de faire assassiner par trois spadassins son second mari, le célèbre Thomas Thynn, Thomas aux millions. Le mari ne mourut pas ; les trois assassins furent pendus, et, grace à l’intervention du roi Charles II, Charles-Jean put aller batailler en Morée, à Navarin, à Modon, et se faire tuer devant Argos. Pendant qu’il faisait ces exploits, son frère cadet, Philippe, plus beau, plus spirituel, aussi étourdi que lui, commençait son éducation protestante dans une académie de Londres, et de là se rendait, à seize ans, à la cour du duc de Zelle, où se trouvait la jeune Sophie-Dorothée, plus jeune de plusieurs années, et par conséquent éloignée de l’âge où les préférences se déterminent et se passionnent. Cette association enfantine, qu’interrompit bientôt le départ du jeune aventurier pour l’armée, explique la familiarité de leurs rapports subséquens, et l’on va voir avec quelle adresse on en tira parti.

Koenigsmark reparut à la cour de Hanovre et à celle de Zelle, enrichi par un héritage récent, plus brillant que dans son adolescence, conteur, causeur, beau joueur, l’un des jolis hommes de son temps, et déjà familier avec les cours de l’Europe. Il fut reçu avec joie par tout le monde, surtout par les femmes. L’électeur le nomma colonel de ses gardes et le laissa tenir le premier rang dans les fêtes, régler les ballets, donner le ton des conversations, chanter les airs nouveaux de Lulli, et « traîner tous les cœurs après soi ; » on ne se serait pas avisé de reprendre en rien le brillant élève de la cour de France. La comtesse Platen, de son côté, pensa qu’il était de son honneur de l’enlever à ses rivales, et de son intérêt de le détacher de la princesse. Philippe avait renoué avec cette dernière leurs relations d’enfance ; elle le recevait souvent, lui faisait raconter ce qu’il avait vu ou cru voir, et s’en divertissait singulièrement. Cette seconde partie des récits